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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/882

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REVUE DES DEUX MONDES.

au IVe siècle est curieux à examiner, ne fût-ce que par sa ressemblance générale avec l’état des esprits de nos jours ; de plus, aujourd’hui comme au ive siècle, nous pouvons trouver en Afrique quelques-uns des traits de cette incertitude. Nous y avons en effet reporté, après quinze cents ans d’intervalle, d’une part quelque chose de cette indifférence religieuse où se complaisaient beaucoup de contemporains de saint Augustin, et de l’autre quelque chose aussi de cette inquiétude d’esprit qui tourmentait quelques-uns de ses amis.

L’esprit de saint Augustin est, jusqu’à sa conversion, une fidèle image de la confusion et de l’incertitude des croyances religieuses au IVe et au Ve siècle de l’ère chrétienne, et c’est un beau spectacle que celui d’une intelligence comme la sienne en proie aux tourmens du doute et cherchant à en secouer le joug. Ses Confessions sont le récit de ce genre de souffrances ; mais ce que j’aime mieux que le récit même de ses souffrances, c’est le sentiment qu’elles lui inspirent. Il pardonne à l’erreur parce qu’il a long-temps erré ; il compatit aux doutes et aux hésitations parce qu’il a long-temps douté et long-temps hésité. « Que ceux-là s’irritent contre vous, dit-il aux manichéens[1], qui ne savent pas avec quelle peine on trouve la vérité et combien il est difficile de se préserver de l’erreur !… Que ceux-là s’irritent contre vous qui ne savent pas par combien de soupirs et de gémissemens l’ame arrive à comprendre quelque chose de Dieu ! Que ceux-là, enfin, s’irritent contre vous qui n’ont jamais été engagés dans les erreurs qui vous égarent ! Pour moi qui, tant et si long-temps ballotté par l’erreur, n’ai aperçu qu’après bien des aveuglemens la sainte et pure vérité,… non, je ne peux pas m’irriter contre vous. Je dois vous supporter comme j’ai été supporté moi-même. Je dois avoir pour vous la patience que mes proches ont eue pour moi, quand, comme vous, j’étais aveuglé et que, comme vous, je repoussais la lumière avec fureur. » Grâce à ce pieux sentiment d’indulgence, saint Augustin est le meilleur peintre de l’incertitude religieuse de ses contemporains, car il la peint sans l’exagérer par indignation, et il l’étudie avec attention, parce qu’il veut la guérir.

Il y avait autour de saint Augustin un cercle d’amis et de disciples qui l’avaient pris pour guide et pour maître. Ils l’avaient suivi dans les erreurs du manichéisme ; ils le suivirent dans sa conversion chrétienne, mais plus lentement, et quelques-uns même restèrent en chemin. C’est dans le cercle des amis de saint Augustin, tous

  1. Contra epistol. Manichæi, t. VIII, p. 267.