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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/883

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L’AFRIQUE SOUS SAINT AUGUSTIN.

Africains, tous de Madaure, de Tagaste, d’Hippone ou de Carthage, que je veux d’abord entrer.

Le premier de ces amis est Romanien. Romanien était riche et puissant, plus âgé que saint Augustin, grand ami de son père, et il fut le protecteur de la jeunesse de saint Augustin. Il l’aida de sa fortune, de son crédit, de son affection surtout[1]. Cette façon de traiter un jeune homme, et de le mettre de bonne heure sur le pied d’homme distingué et fait pour être aux premiers rangs, est le plus grand appui qu’on puisse lui donner ; car l’estime est la protection la plus délicate et la plus efficace en même temps, surtout dans les sociétés polies et raffinées, où les rangs se déterminent encore plus par les égards que par les titres. Quand saint Augustin et ses amis, quoique n’étant pas encore chrétiens, formèrent le projet de vivre en commun, projet qui échoua, mais qui témoigne des sentimens et des idées qui fermentaient alors dans les esprits, et qui bientôt enfantèrent les monastères, ce plan de vie cénobitique enchanta Romanien ; il fut le plus ardent de tous à l’accueillir, « et son zèle, dit saint Augustin, avait une grande autorité, car il était aussi le plus riche d’entre nous[2]. » Romanien, cependant, était un homme heureux et puissant selon les idées de son temps ; il avait tout ce qu’il faut pour aimer le monde, et saint Augustin, à ce propos, fait le portrait des puissans du IVe siècle. Ce tableau est curieux. L’homme influent au ive siècle était celui qui donnait au peuple des combats de bêtes féroces, surtout s’il inventait quelque nouveau genre de combats, ou s’il faisait paraître quelque animal qu’on n’eût pas encore vu. Quels cris, quels applaudissemens, quel enthousiasme alors, quand il entrait au théâtre ! L’homme influent avait une inscription en son honneur, gravée sur le bronze et qui lui avait été votée par sa cité, comme à son patron. Souvent les cités voisines s’associaient à ce témoignage, à condition de partager ses largesses. Il avait sa statue sur la place publique ; souvent la cour ajoutait à ces honneurs municipaux un titre de perfectissimus ou même de clarissimus ; alors il était le roi et l’empereur de sa ville. Il avait table ou-

  1. « Tu me adolescentulum pauperem ad peregrina studia pergentem et domo et sumptu et, quod plus est, animo suscepisti ; tu patre orbatum amicitia consolatus es, hortatione animasti, ope adjuvasti. Tu in nostro ipso municipio favore, familiaritate, communicatione domus tuæ pene tecum clarum primatemque fecisti. » (Contra Academicos, lib. II, cap. III, p. 441, t. I.)
  2. « Romanianus maxime instabat huic rei et magnam in suadendo habebat auctoritatem, quod ampla res ejus multum cæteris anteibat. » (Conf., lib. VI, cap. XIV.)