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L’AFRIQUE SOUS SAINT AUGUSTIN.

éclatent enfin, sous mille formes, les tentatives de l’homme pour se passer de Dieu ou pour le remplacer. Telle était l’Afrique sous saint Augustin. Carthage avait ses devins, qui lui disaient la bonne aventure ; elle avait ses mathématiciens, qui tiraient l’horoscope des gens ; et la croyance à la magie était tellement répandue parmi ces hommes qui ne croyaient ni à Jupiter, ni à Jehovah, que, lorsqu’on leur parlait des miracles du Christ, ils ne les niaient pas, mais ils disaient qu’Apollonius de Thyanes et Apulée de Madaure en avaient fait d’aussi grands.

Le grand devin de Carthage au temps de saint Augustin était Albicere. Avait-on perdu quelque chose, on allait voir Albicere, et dès qu’il vous apercevait, il vous disait ce que vous aviez perdu, et où vous le retrouveriez. Albicere savait surtout le compte de l’argent qu’on lui apportait. Un jour, quelqu’un lui envoya de l’argent par un esclave sans le prévenir ni de l’envoi, ni de la somme : l’esclave pensa qu’il pouvait, sans danger, en voler une partie. Dès qu’il entra : « Tu m’apportes de l’argent, lui dit Albicere, et tu en as volé. » L’esclave restitua son larcin, et s’enfuit épouvanté. Un jour, Flaccien, un des principaux citoyens de Carthage et des plus éclairés, qui se moquait fort d’Albicere et de ceux qui le consultaient, allait acheter un domaine, et, rencontrant Albicere, il voulut l’éprouver : Dis-moi ce que je vais faire ? lui demanda-t-il, et Albicere lui répondit sans hésiter qu’il allait acheter un domaine, et il lui dit même le nom de ce domaine, quoique ce nom fût très bizarre. « Et moi-même, dit Licent, qui raconte dans les Académiques les traits que je viens de citer[1], je vis un de nos amis, qui dit un jour au devin, voulant le tenter : À quoi pensé-je en ce moment ? — À un vers de Virgile, dit Albicere. — Notre ami convint que c’était vrai. — Mais quel vers ? dit-il ; et Albicere, qui était le plus ignorant des hommes, et qui n’avait jamais vu l’école des grammairiens qu’en passant dans la rue, cita le vers, sans se tromper d’un seul mot. » Ces histoires ressemblent trait pour trait aux histoires des magnétiseurs et des magnétisés de nos jours. Ne nous étonnons donc pas de la vogue qu’avait Albicere à Carthage vers l’an 380 de l’ère chrétienne.

Albicere était l’homme merveilleux que la nature avait doué d’un don particulier de pénétration ; les mathématiciens étaient des savans : aussi l’esprit de système se mêlait à leurs prédictions. Ils consultaient les astres pour prédire l’avenir ; mais ils croyaient aussi que les

  1. Acad., lib. I, p. 433.