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astres réglaient la conduite des hommes et maîtrisaient leurs actions. De là un système commode de morale que saint Augustin combat vivement. Le libertin n’en peut mais de ses péchés, il est né sous l’influence de Vénus ; le voleur s’excuse sur l’ascendant de l’astre de Mercure, et le sanguinaire sur celui de Mars. C’est le système de la monomanie moderne transporté dans le ciel. « Pensez-vous, dit saint Augustin dans une lettre à Lampade, qui croyait à la science des mathématiciens, pensez-vous qu’un de ces interprètes des astres, quand il quitte ses tablettes d’ivoire pour s’occuper de sa maison et de son ménage, s’abstienne de gronder ou même de battre sa femme s’il l’a surprise, je ne dis pas à jouer trop librement, mais seulement à regarder à la fenêtre avec trop de curiosité ? — Ne me battez pas, dirait en vain la pauvre femme, ou plutôt battez Vénus, si vous pouvez, dont l’ascendant me force à agir ainsi. Vaines paroles ! les astres sont bons à consulter pour vendre aux riches leurs horoscopes, mais il n’est pas d’ascendant qui puisse empêcher un mari de battre sa femme. »

J’ai montré le singulier état des esprits en Afrique sous saint Augustin, l’incertitude des uns, l’éclectisme des autres, la superstition du grand nombre, et je me suis promis de faire quelques comparaisons entre cet état de choses et les idées de M. le général Duvivier dans son ouvrage intitulé : Solution de la question d’Algérie. J’avoue qu’au moment de faire ce parallèle, j’hésite beaucoup. Ce n’est point à Alger, en effet, ce n’est pas dans les rangs de l’armée, que nous rencontrerons Licent, qui s’inspire de son incertitude religieuse encore plus qu’il ne s’en afflige. N’espérons pas non plus retrouver dans l’ouvrage du général Duvivier la raillerie sceptique de Maxime ou l’éclectisme poli de Longinien. De superstition, pas l’ombre ; et quant aux mathématiques, quoique M. Duvivier les adore, il les emploie beaucoup mieux assurément que Lampade. Il ne s’agit donc pas ici d’une ressemblance exacte ; il s’agit seulement de quelques rapprochemens de sentimens.

M. Duvivier n’est point, en matière de religion, de la race des incertains, des éclectiques, des railleurs ou des superstitieux ; il est d’une race plus forte et plus élevée. Il est du nombre des hommes qui veulent une loi ferme et décisive, une loi qui maîtrise et qui fortifie les sentimens de l’homme, une religion enfin ; il est du nombre de ceux qui, lorsque la religion s’est affaiblie dans une nation, croient que cet affaiblissement de la foi est un signe de l’affaiblissement général des caractères, et que le peuple qui a perdu son ardeur