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d’indiquer ici comment il empêcha, en 1835, une guerre nouvelle avec le sultan. Une bande de hardis iounaks de la Tsernitsa-Nahia, ayant surpris de nuit la forteresse de Spouje, avait massacré une partie des soldats turcs et en avait ramené une pièce de canon. Quelques mois après, sous prétexte de venger l’incendie de leurs moissons de maïs brûlées par les Turcs, des bandes de koutchi, ayant surpris la citadelle de Jabliak, y avaient planté leurs étendards au nom de son premier possesseur, le Tsernoïevitj Ivo, et avaient pris des mesures pour ne plus en sortir. Une longue piesma, publiée dans la Grlitsa de 1836, célèbre avec énergie cet audacieux exploit.

L’importance de Jabliak, son excellente position sur le lac de Skadar, semblaient commander impérieusement aux montagnards de ne plus s’en dessaisir. Pierre II en jugea autrement ; il menaça ses compatriotes de l’excommunication s’ils s’obstinaient à garder leur conquête, et Jabliak fut évacuée. Le vladika conclut alors avec le pacha de Podgoritsa une paix éternelle ; mais, avant que l’année fût écoulée, la guerre s’était déjà rouverte par une tcheta nouvelle des Turcs de cette ville contre les habitans des Berda, auxquels ils tuèrent quinze bergers et enlevèrent plusieurs milliers de brebis. Une lutte s’engagea aussitôt entre les tribus dépouillées et les tribus spoliatrices. Le vladika parut ignorer ces représailles, qui ne furent considérées que comme des faïdas privés, auxquels les deux gouvernemens respectifs de Tsetinié et de Stambol devaient rester étrangers. En se mettant ainsi en dehors des querelles de tribus, et en cachant sa faiblesse réelle sous le voile de la neutralité, le gouvernement du Tsernogore accoutumait peu à peu les Turcs à le regarder comme une puissance légitime.

Cette politique, applicable en Orient, ne saurait convenir vis-à-vis d’un état européen. Aussi le vladika dut-il forcément sortir de son sanctuaire, lorsqu’en août 1838 ses compatriotes voulurent recommencer contre les Autrichiens la lutte déjà soutenue contre les Français de l’empire, pour s’emparer d’un point maritime injustement refusé au Tsernogore par le congrès de Vienne. Parmi les districts qui jadis dépendaient de la montagne, et qui s’appellent aujourd’hui l’Albanie autrichienne, on distingue le Maïni, le Pachtrovitj, et la presqu’île de Loustitsa, dont les salines, qui appartenaient aux anciens chefs du Tsernogore, furent détruites par les Vénitiens en 1650, et remplacées par celles de Risano, où s’approvisionnent maintenant les montagnards, qui dépendent ainsi de l’Autriche pour une branche essentielle de leur alimentation. Le canton de Pach-