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Quant à l’ancienne division des Wallons et des Flamands, elle ne se fait point jour dans la politique et s’efface insensiblement dans le peuple. Mais ce n’est pas tout : les grandes villes de la Belgique ont une importance presque égale et sont par elles-mêmes des pouvoirs qu’on ne heurte pas impunément de front. Gand, dont Guillaume Ier avait fait le Manchester de la Néerlande, a été orangiste jusque dans ces derniers temps ; il a fallu toute la prudence et toute l’adresse du nouveau régime pour l’amener à se rallier. Anvers saigne encore des blessures que lui a faites la révolution, et ses plaintes, souvent injustes, toujours amères, sont patiemment écoutées par le reste du pays, qui voudrait lui rendre son ancienne splendeur commerciale. Liége vit dans un milieu à part, et se considère comme le centre de la famille wallonne. Bruxelles, théâtre de la révolution, siége actuel de la royauté et du gouvernement, se voit souvent contester son titre et ses prérogatives de capitale par ses trois ombrageuses rivales, qui la traitent de ville de cour et la jalousent, comme ailleurs on envie les courtisans. Aussi le gouvernement se garde bien de brusquer la centralisation ; il partage avec une impartialité peut-être timide ses graces entre les quatre grandes villes, et s’excuse du mieux qu’il peut, chaque fois que la force des choses le pousse à favoriser plus particulièrement la résidence des corps politiques et du souverain.

Ainsi voilà un premier point de dissemblance entre la France et la Belgique. Ici, la centralisation absolue ; les villes et les départemens (qui ne représentent plus les anciennes provinces) sacrifiés, se sacrifiant eux-mêmes à l’unité nationale ; là, au contraire, des provinces attirant tout à elles, des cités fières et prépondérantes, une tendance constante à la dispersion des intérêts, que le pouvoir respecte tout en l’empêchant de nuire à l’intérêt commun.

Revenons à la constitution : elle a consacré les principes les plus avancés des théories modernes, le suffrage presque universel (tant est bas le chiffre du cens électoral), l’éligibilité exempte de tout cens pour l’une des deux chambres, la condition d’âge pour ainsi dire illusoire, et la rétribution (sous forme d’indemnité) des fonctions de représentant qui en permet l’accès aux ambitieux dépourvus de fortune. Comment l’a-t-elle pu faire sans danger pour l’avenir ? C’est que, depuis le dernier siècle, il y a en Belgique deux partis bien nettement tranchés, celui des idées religieuses qui représente la conservation, en ce sens qu’elle la fait dépendre de la moralité du peuple et de sa soumission à l’église, et le parti des idées modernes ou du progrès ; la bannière de Vandernoot et le drapeau de Vonck, comme nous