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partie. Vers la fin de ce même siècle, le guerrier qui s’était fait prince de Novogorod par la puissance de son épée transporta le siège de sa souveraineté à Kiew et abandonna l’administration de sa première résidence à un chef qu’il désigna lui-même.

Peu à peu la jeune cité, la nouvelle ville, reprenant haleine après la première oppression de la conquête et du joug militaire, s’essaie aux spéculations commerciales et étend çà et là ses relations. Au XIe siècle, elle a pour se défendre contre toute tentative d’invasion sa forteresse, son kremlin ; puis la voilà qui s’aventure jusque vers le golfe de Finlande et subjugue les populations qui occupent ses rivages. À l’orient, elle pénètre jusqu’à la mer Baltique et établit à Wisby ses comptoirs et ses entrepôts ; au nord, elle fonde la ville d’Archangel ; au sud, elle parcourt le Volga et les différentes rivières qui y aboutissent. Plus habile que les autres principautés russes, qui, au XIIIe siècle, étaient ravagées par les Mongols, elle fait un traité de paix avec eux, leur paie un tribut annuel, et devient pour Lubeck et les autres villes anséatiques le point de jonction du commerce entre l’Orient et l’Occident.

Tandis qu’elle élargit ainsi son empire et augmente chaque jour ses richesses, elle se dégage graduellement de l’autorité des princes de Kiew. D’année en année, elle gagne quelque nouvelle franchise, quelque nouveau privilége, et ceux qui l’avaient d’abord gouvernée despotiquement en viennent enfin à ne plus exercer sur elle qu’une sorte de suprématie honorifique ou de protectorat pareil à celui que les empereurs d’Allemagne exerçaient, au moyen-âge, sur les villes libres. L’opulente Novogorod est affranchie de la domination de ses anciens maîtres ; ses citoyens se rassemblent au son de la grosse cloche qui les appelle à délibérer ensemble sur leurs intérêts, et élisent annuellement leurs possadnik (consuls). Ses magistrats administrent, gouvernent, sans s’inquiéter des caprices d’un prince ou du bon vouloir d’un souverain. Ainsi elle apparaît, au XVe siècle, maîtresse d’elle-même, enrichie par son habileté, embrassant à la fois dans son commerce l’Europe et l’Asie, et portant sans cesse plus loin le succès de ses entreprises. Les autres villes russes la nomment avec respect leur sœur aînée, et le peuple, émerveillé de sa puissance, de sa fortune, répète ce proverbe cité tant de fois par les voyageurs : Qui pourrait résister à Dieu et à Novogorod la grande ?

Cependant, à une centaine de lieues de là, on voyait surgir une autre puissance, qui devait un jour écraser l’orgueil de cette Carthage du Nord : c’était la principauté de Moscou. Au XVe siècle, un de ses tsars soumit la république et la força de lui payer un tribut annuel ; puis il en vint un autre qui travaillait plus hardiment à agrandir ses états et s’efforçait de réunir sous son sceptre les villes et les domaines soumis à un autre gouvernement. Vrai précurseur des Romanow, on eût dit qu’il portait dans son cœur l’ambition de cette dynastie et les rêves de leur destinée future. La république de Novogorod, déjà forcée de payer un tribut humiliant, offusquait encore, par ses franchises, le prince Ivan Vassilievitsch. Il l’attaqua plusieurs fois, la vainquit dans une lutte acharnée, transporta une partie de sa population dans l’inté-