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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/1064

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REVUE DES DEUX MONDES.

comme à vue d’oiseau jeté sur une grande époque historique. Laissons un moment le fabliau et envisageons l’histoire.

Quel a été le but du poète ? Il a voulu nous montrer l’antique et robuste féodalité allemande, depuis les temps historiques jusqu’à son déclin ; d’abord grande et simple comme les héros d’Homère, ensuite loyale encore et valeureuse comme un homme d’armes, puis efféminée, abâtardie, félone, déclinant ainsi de génération en génération, et s’effaçant enfin d’elle-même devant une idée plus grande et plus forte, l’idée de la patrie commune et de l’unité allemande. Le poète, pour personnifier ces deux grandes forces, celle de l’individu et celle de la société, dont la longue lutte a agité tout le moyen-âge, a su trouver les symboles les plus poétiques et les plus frappans. Comme type de la force féodale, il a choisi une famille parmi les burgraves, seigneurs des bords du Rhin, toujours en guerre contre la diète, qui, du lac de Constance aux Sept-Montagnes, ont crénelé la cime de toutes les collines. Il nous introduit dans le château, déjà délabré au XIIIe siècle, aujourd’hui caché dans les bruyères, des seigneurs de Happenheff. Et pour que nous connaissions bien toute cette nichée de vautours, il nous montre d’abord l’aïeul, le centenaire Job, burgrave du Taunus, qui, dans sa longue simarre blanche, semble un roi de pierre au portail d’une cathédrale ; puis son fils Magnus, vigoureux vieillard de soixante et dix ans, colosse de fer, armure vivante ; et au-dessous ses petits-fils, vêtus de soie, troupe folle et cruelle qui se rit de Dieu dans l’orgie. D’un côté, on entend des chansons dissolues et le choc des verres ; de l’autre, on voit une porte close et silencieuse. C’est dans cette partie abandonnée du vieux château que les deux vieillards, Magnus et Job, le père et l’aïeul, vivent à peu près relégués par leurs fils ;

Car ils ont fait leur temps ; ils ont l’esprit troublé :
Voilà plus de deux mois que le vieux n’a parlé.

Les jeunes burgraves et leurs joyeux convives viennent en ce lieu finir l’orgie, se vantant de leurs brigandages et de leurs parjures. À ce bruit et à ces propos malséans, la porte des vieux parens s’entr’ouvre. Magnus et l’aïeul apparaissent sur le seuil graves et soucieux. Magnus, qui a entendu le comte Gérard se vanter en riant d’avoir faussé sa foi, lui jette à la face cette belle leçon d’honneur antique :

........Jadis il en était
Des sermens qu’on faisait dans la vieille Allemagne