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lées, éblouissantes de pierreries. À droite des portes qui s’ouvrent au milieu de l’iconostase, et qu’on appelle les portes royales, est une image de saint Jean, peinte, dit-on, par l’empereur grec Emmanuel ; à gauche, une Vierge vénérée, qui porte sur la tête, entre autres ornemens, deux diamans, dont un seul rendrait le plus pauvre poète éligible. Ce qui est bien plus précieux aux yeux du peuple russe que toutes ces peintures, ces couronnes de diamans, ces amas d’or et de vermeil, ce sont les reliques enfermées çà et là dans des châsses. Il y en a pour toutes les dévotions et tous les accidens de la vie, depuis la tunique de Jésus-Christ, dont personne n’oserait contester l’authenticité, jusqu’à des ossemens de saints qui guérissent diverses maladies. Un sacristain montre du doigt aux fidèles celles qui ont le plus d’efficacité ; ils se signent à différentes reprises devant ces trésors de la foi, y déposent un pieux baiser, et s’en vont vers une autre chapelle également pleine de reliques ; là ils se signent encore, se prosternent avec humilité, se jettent la face contre terre, puis s’approchent d’un moine qui se tient debout devant l’autel et leur donne à baiser sa main droite, qu’il a soin auparavant, dit-on, d’imprégner d’une bonne odeur afin de flatter l’odorat des respectueux croyans. Je n’ai pas vérifié le fait et ne veux point l’affirmer. C’est dans cette église qu’on enterre les métropolitains et qu’on couronne les empereurs.

Tout près de l’Assomption est l’église de l’archange Michel, bâtie à peu près dans la même forme, surmontée également de cinq coupoles, enrichie d’un splendide iconostase et de plusieurs reliques en grand renom. L’église de l’Annonciation est pavée en agathe, chargée d’or et de vermeil, et couverte sur toutes ses faces de figures d’apôtres et de martyrs, au milieu desquelles apparaissent des philosophes grecs, ce qui me semble une preuve de rare tolérance. Il est vrai que les images des saints sont entourées d’une auréole, et que celles des sages de l’antiquité ne portent point ce signe de gloire céleste. Ainsi le bon peuple de Moscou peut encore s’y reconnaître.

Si l’on fait quelques pas hors de ce premier espace, du côté du quartier appelé le Kitaigorod, voici bien certainement l’édifice le plus bizarre, le plus étonnant qui existe : une église à deux étages, composée de vingt chapelles, surmontée de seize tours d’inégale forme et d’inégale grandeur, celle-ci pareille à un clocheton naissant, celle-là pointue et élancée, une autre tordue comme les replis d’un turban, une quatrième taillée comme un artichaut, une cinquième ornée de trois rangées de pierres arrondies comme des aiguilles, une sixième surmontée d’un globe comme un de nos honnêtes clochers de village, et d’une croix grecque posée sur un croissant ; toutes ces coupoles, toutes ces tours bariolées de diverses couleurs, sont peintes en rouge, en bleu, comme les grains d’un chapelet. On ne sait, en regardant cette église, où est la porte principale, ni l’autel, ni la nef, de quel côté elle commence, de quel côté elle finit. C’est un vrai conte fantastique. Elle fut bâtie, l’année 1554, en mémoire de la prise de Kasan. Le prince qui en avait ordonné la construction fut si émerveillé en la voyant, que, de peur que son architecte n’eût l’idée d’aller décorer un autre pays d’un pareil