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TRAVAIL DES ENFANS DANS LES MINES.

la grande industrie a créé en Angleterre un élément, une force vraiment démocratique. Cette force s’est mise d’abord au service du parti radical, qui n’était que réformiste ; aujourd’hui elle se prête au chartisme et menace de devenir révolutionnaire. Déjà la dernière de ses manifestations, celle que nous avons vue cette année, a pris un caractère de résolution grave et sombre qu’on ne connaissait pas encore aux émotions populaires en Angleterre. Pour la première fois, sur toute la surface de la Grande-Bretagne, on a vu au même instant plus de 400,000 ouvriers quitter leurs ateliers, interrompre tout travail pendant une semaine, et réaliser la première menace du chartisme, le jour du repos, le holyday. Ce concert dans une résolution négative est déjà bien effrayant : on dirait les secessiones de la plèbe romaine. De là à la rébellion et à la violence, quelle distance y a-t-il ? C’est un problème que les plus courageux et les plus confians ne sauraient envisager sans inquiétude.

Si l’aristocratie britannique eût pu prévoir les dangers politiques que recélait la grande industrie, si, comme le disait naguère un de ses organes les plus accrédités[1], elle avait pu constituer un état à priori, une utopie, sans doute elle se serait gardée de s’engager dans la voie où l’a précipitée une impulsion aveugle ; mais, tout en acceptant comme fait accompli et irrévocable la constitution industrielle que la nature des choses a donnée à la Grande-Bretagne, on comprend qu’elle doive toujours la voir avec méfiance, avec crainte, et qu’elle cherche à modérer, à neutraliser, à combattre de toutes ses forces les coups que l’industrie porte chaque jour à l’édifice ébranlé de la vieille Angleterre. L’intérêt de sa conservation lui a commandé cette conduite, et la loi dont nous nous proposons d’examiner ici les résultats déjà accomplis et les développemens probables est le premier pas qu’elle ait fait dans cette voie.

Il y a deux ans, lorsque dans une intention fort louable assurément, et qui ne peut manquer de produire d’excellens résultats, on voulut suivre en France l’exemple de l’Angleterre et transporter chez nous la législation à laquelle elle avait soumis en 1833 le travail des enfans dans les manufactures, on a trop négligé, ce nous semble, d’apprécier à sa juste valeur le caractère spécial que cette mesure avait eu chez nos voisins au point de vue politique. L’origine même de la loi eût pu fournir à cet égard des données dignes d’attention[2]. Nous sommes fort éloigné de mettre en doute les intentions philantropiques et généreuses des promoteurs et des partisans de cette législation ; nous avons quelque droit néanmoins à avancer que des motifs politiques, tout particuliers à l’Angleterre, y ont présidé à l’établissement de cette loi, lorsque nous considérons le parti qui en a pris l’initiative, qui l’a conçue, et qui avait le

  1. Quarterly Review, no CXL, september 1842.
  2. Il est à regretter que ce côté de la question ait été omis dans le rapport de M. Charles Dupin, qui inaugura la longue élaboration de cette loi dans notre parlement, et où, du reste, les élémens statistiques et économiques de la discussion ont été réunis et présentés avec une remarquable lucidité.