Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/196

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
190
REVUE DES DEUX MONDES.

admettre par eux sa proposition, et l’abolition de la traite des noirs entra dans le droit public européen.

La conséquence de cet acte fut que chaque gouvernement rendit des lois pour empêcher ses sujets de se livrer au commerce des noirs ; la France ne resta pas en arrière. Une ordonnance du 8 janvier 1817 prononça la confiscation de tout navire français qui tenterait de débarquer des noirs dans les colonies. Elle établit des croisières dans leur voisinage, pour veiller à l’exécution de cette défense. Tout bâtiment français qui tenterait de l’enfreindre dut être confisqué. Les autres puissances maritimes suivirent son exemple ; mais cela ne suffit point à l’Angleterre, et avant que l’expérience de ces mesures eût été faite, et en eût constaté l’inefficacité, elle demanda que les puissances se concédassent réciproquement le droit de visite sur leurs bâtimens respectifs, en sorte que la croisière anglaise pût visiter les bâtimens français, et la croisière française les bâtimens anglais, et ainsi pour les autres nations. Sans cela, dit-elle, tout bâtiment négrier, à la vue d’un croiseur de sa nation, n’avait qu’à arborer un autre pavillon pour se mettre à l’abri de la visite, et rendre vaines les mesures des gouvernemens. C’était ramener la question la plus délicate du droit maritime, celle qui, depuis plus de cent ans, tenait toutes les nations en défiance de l’Angleterre, et leur avait mis plusieurs fois contre elle les armes à la main ; c’était leur demander de renoncer à l’inviolabilité de leur pavillon. La crainte des conséquences qui en pouvaient naître n’empêcha point les puissances placées sous l’influence de l’Angleterre, trop faibles pour lutter contre elle, d’accéder à ses désirs. L’Espagne, le Portugal, les Pays-Bas, firent avec elle des conventions qui consacrèrent le droit de visite réciproque, et introduisirent pour la première fois ce principe dans le droit public européen. Mais il n’en fut pas de même des autres nations : la France et les États-Unis surtout opposèrent une vive résistance aux vœux de l’Angleterre.

Les démarches de celle-ci auprès de la France commencèrent dès 1817, lorsque notre territoire était encore occupé par les troupes étrangères. Le ministère Richelieu déclina la proposition, par le double motif de l’inopportunité d’une telle mesure et des dangers qu’elle présentait. On ne manquerait pas, dit-il, dans la situation douloureuse où se trouvait la France, d’y voir le doigt de l’Angleterre et un acte de soumission à sa volonté. La réciprocité ne serait qu’apparente, à raison du nombre supérieur de bâtimens de guerre que la