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DU DROIT DE VISITE.

force de la marine anglaise lui permettrait d’entretenir dans ses croisières. Les marins anglais, enflés par le sentiment de cette supériorité et par le souvenir récent de leurs victoires, traiteraient sans ménagement les bâtimens français livrés à leur inspection, et qui pouvait prévoir ce que produirait la vieille rivalité des deux nations qui seraient ainsi en présence ? « Le roi, d’ailleurs, ne se croyait pas en droit, sans le concours des chambres, de livrer ses sujets à une juridiction étrangère, en autorisant la marine anglaise à les saisir, et une commission mixte à prononcer sur la légalité des prises. Mieux valait respecter un principe qui n’avait admis jusqu’à présent aucune exception[1]. »

Les rapports dans lesquels on était avec l’Angleterre firent penser qu’on ne devait cependant pas lui opposer un refus sans correctif, et pour lui donner une marque de déférence, pour marquer le zèle dont on était animé contre la traite des noirs, on présenta aux chambres une loi qui punissait de peines plus sévères ceux qui s’y livreraient[2]. Cette loi, reçue avec quelque ombrage, parce qu’elle paraissait venir de l’étranger, fut votée en silence, comme l’avaient été celles que la contrainte de l’occupation avait arrachées pour des contributions de guerre et pour des cessions de territoire. On rendit bientôt après une ordonnance qui établissait une croisière sur la côte d’Afrique pour en assurer l’exécution.

L’Angleterre ne se rebuta pas pour cela ; elle renouvela ses instances auprès des puissances, au congrès d’Aix-la-Chapelle, convoqué pour régler le mode de libération du territoire de la France. Le duc de Richelieu fit la réponse qu’il avait déjà faite, et persista dans son refus. Les autres puissances l’imitèrent. La Russie insista sur ce que le droit de visite réciproque demandé par l’Angleterre ne pouvait avoir d’effet qu’autant qu’on obtiendrait l’adhésion de toutes les puissances sans exception, de manière à ce que les bâtimens négriers ne pussent emprunter, pour se mettre à l’abri de la visite, le pavillon d’aucune d’elles, et sur ce qu’on ne pouvait se flatter d’arriver à une telle unanimité. « Autant il est vrai, dit-elle, que l’établissement universel du droit de visite réciproque contribuerait à faire atteindre le but, autant il est incontestable que le concert devient illusoire, pour peu qu’un seul état maritime se trouve dans l’impossibilité d’y adhérer. Or, la Russie ne saurait prévoir une accession aussi unanime. Il lui

  1. Supplément aux Traités de Martens ; Goettingue, 1842, t. III, p. 162.
  2. Loi du 15 avril 1818.