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EXPÉDITION DU CAPITAINE HARRIS.

du sol qu’ils recouvrent momentanément, et de ce contraste il résulte un spectacle curieux, rare en Europe, mais assez commun dans les deux Amériques, où le climat est sujet de grandes irrégularités.

Voici quel fut définitivement le plan de campagne arrêté par les deux voyageurs : aller droit à New-Litakoo, résidence des missionnaires, à cent soixante lieues dans le nord ; de là, traverser le pays de Moselekatse, roi des Matabilis, dont les états sont renommés par l’abondance de gibier qu’ils nourrissent, pays d’ailleurs fort peu connu ; de là, pousser jusqu’au tropique, vers le grand lac, et rentrer dans la colonie par la rivière Likwa ou Vaal, route qu’aucun Européen n’avait suivie encore. Mais avant de mettre ce plan à exécution, avant de se lancer en pleine mer, il fallut définitivement équiper en provisions, en hommes, en animaux, ces wagons, véritables navires destinés à sillonner le désert. Une troupe de douze chevaux, trente couples de bœufs et six Hottentots, tous six repris de justice, furent loués et engagés. Dans ces immenses chariots, il y eut un triple assortiment d’objets distribués de façon à tenir le moins de place possible : c’étaient d’abord tous les articles de cuisine inséparables du gentleman anglais, depuis les sacs de farine et de riz jusqu’aux sauces et aux pickles, puis la poudre, les balles et le plomb en saumons, enfin les outils de charronnage et de serrurerie, les clous, les marteaux, indispensables aux réparations des voitures.

Ce fut le 1er  septembre, « ce jour de si bon augure pour le chasseur européen, » que la caravane se mit en marche, que les lourds attelages donnèrent le premier coup de collier, sous une pluie battante. La moitié des Hottentots manquait à l’appel ; on les trouva ivres-morts dans les tavernes, et leurs camarades les ayant couchés au fond des chariots, le lendemain matin ils s’éveillèrent, assez désagréablement sans doute, à trois lieues de là dans le désert. Nos voyageurs s’avançaient alors à travers les hautes régions des monts neigeux (Sneuwberg) ; la végétation devenait plus abondante et l’air plus froid ; des pics entassés les uns au-dessus des autres, enveloppés de nuages et de neige, bornaient l’horizon ; le Spitscop les dominait tous de sa cime majestueuse, et rien ne troublait le silence de la solitude que le cri de l’essieu et le fouet des Hottentots.

Le brouillard obligea la caravane à camper près d’un kraal de Fingoes (Kafres soumis). Là le capitaine Harris put apprécier le rôle important que joue le tabac dans les échanges avec les peuplades africaines ; il est comme la monnaie courante du désert ; ou peut s’en servir aussi bien pour faire des présens à un prince que pour acheter