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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/218

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REVUE DES DEUX MONDES.

des œufs d’autruche ou du lait de chèvre. Outre le tabac, les Kafres fument le dacca (chanvre narcotique) dans une corne de bœuf pleine d’eau, disposée en manière de narguilé ou de houkka. L’effet de cette drogue est une ivresse furieuse que le voyageur décrit ainsi : « Nous pûmes voir un homme, emblème de la plus dégoûtante misère, assis devant sa cabane en forme de four, aspirer cette pernicieuse substance. Des masses de fumée étaient repoussées dans son estomac, et il en résultait un violent accès de toux accompagné d’un délire furieux. Jetant là son maigre appareil, il se rua dans la plaine comme une bête féroce, comme un fou échappé de Bedlam. »

Il neigeait toujours ; les ruisseaux étaient même légèrement glacés dans la vallée des Oiseaux (Vogel-Valley), et des troupes de gnoos (catablepas gnoo) se montrèrent d’assez près pour que les chasseurs en tuassent trois. Voici la description que donne le capitaine Harris de ce curieux animal, qui paraît se rapprocher assez du bison ou bœuf musqué du Missouri et du pays des Esquimaux : « De tous les quadrupèdes, il est peut-être le plus bizarre et le plus grotesque ; la nature l’aura sans doute formé dans un de ses caprices, car il est presque impossible de regarder sans rire sa figure malséante. Roulant et bondissant de tous côtés avec une tête crépue et barbue, courbée en arc entre deux jambes grêles et musculeuses, secouant au vent sa longue queue blanche, cette bête a une apparence à la fois féroce et amusante. Tout d’un coup elle s’arrête, montre un front imposant, secoue la tête d’un air moqueur et défiant ; ses yeux rouges et sauvages lancent un feu sinistre, son reniflement ressemble au rugissement du lion… Bientôt, battant ses flancs de sa queue flottante, l’animal se cabre, bondit, frappe ses talons en se livrant à de fantasques gambades, et en un clin d’œil il est parti au galop, faisant voler la poussière derrière lui, tandis qu’il balaie la plaine. » Bientôt ce sont les gazelles (spring buck, gazella euchore), qui couvrent la plaine par myriades, comme pour fournir aux voyageurs un repas abondant et toujours facile. « Quand elles sont chassées, dit le capitaine Harris, ces élégantes créatures font des bonds extraordinaires s’élevant dans l’air avec leurs dos courbés, comme si elles allaient prendre leur vol… Elles offrent le plus extraordinaire exemple de fécondité ; il est impossible de se faire une idée de leur nombre : se précipitant comme des sauterelles du fond des plaines sans limites de l’intérieur, d’où la soif les chasse de bien loin, on les a vues arrêter des lions, tant leur phalange était serrée, et entraîner avec elles des troupeaux de moutons. Les champs qu’on voyait, le soir, fiers de la