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EXPÉDITION DU CAPITAINE HARRIS.

oublia sa route. À qui demander son chemin ? Les cabanes bâties sur les arbres n’étaient point ces guérites au haut desquelles le Bechuana dort à l’abri des lions, mais bien des phalanstères de gros-becs (loxia socia), des ruches immenses construites par des républiques entières de ces curieux oiseaux. Les lions commencèrent avec la nuit leur redoutable tapage, et c’est au bruit de ces rugissemens prolongés que le chasseur, après avoir fait rôtir une pintade, s’endormit de fatigue auprès d’un grand feu. Le capitaine Harris avoue avoir bu, ce soir-là, de l’eau à son souper. — Le lendemain, au lieu de son cheval qui était allé paître un peu plus loin, le voyageur rencontra un fort beau lion ; l’animal le regarda dédaigneusement par-dessus l’épaule et se retira avec un certain air méprisant. L’homme prit une route opposée qui, par hasard, le remit sur la trace des chariots, et bientôt ils eurent retrouvé, celui-ci la paisible solitude où il règne, celui-là ses compagnons dépaysés.

Il s’agissait de faire une chasse dans ces parages, entre le Siklagole et le Meritsane, deux rivières qui, prenant leurs sources bien loin dans l’est, au milieu des petites collines de Kunuana, renferment la plaine où nous nous arrêtons maintenant et se réunissent pour se jeter à l’ouest dans le Molopo. Pareils à des baleiniers qui se lancent dans leurs pirogues et laissent le navire en panne, les deux amis partent à cheval loin des chariots dételés ; autour d’eux, c’est l’Eden des chasseurs : un parc verdoyant où paissent en liberté les beaux quadrupèdes de ces vallées, tandis que, du haut des mimosas, mille et mille gros-becs prennent l’air et causent aux fenêtres de leurs cabanes. Les gnoos et les quaggas, inquiétés, frappaient du pied, et c’était un bruit comparable à celui de dix escadrons chargeant à la fois, car leur troupe montait à quinze mille au moins ! Au coup de fusil, quel désordre dans la bande ! quelle déroute et quelle poussière ! On peut juger du carnage que portaient au milieu de ces inoffensifs animaux les patent rifles à deux coups ; aussi, derrière les deux Anglais se pressaient toujours des Griquas affamés qui, prenant le rôle de vautours et de chakals, achevaient avec des cris d’allégresse les victimes palpitantes. Quand ils étaient bien gorgés, ronds comme des tonneaux, gonflés comme des tambours, les sauvages suspendaient à leur cou, pour le lendemain, de longues guirlandes de viande saignante ; quelquefois, ils étaient si empressés à dépecer la bête, que le capitaine Harris n’avait pas même le temps de la dessiner ; c’est ce qui arriva pour un élan blessé, dont les beaux yeux noirs touchaient le chasseur lui-même, et qui, tombé sur les genoux, jetait