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EXPÉDITION DU CAPITAINE HARRIS.

fois un petit groupe d’autruches vêtues de leurs plumes blanches jouaient le rôle d’officiers supérieurs et d’état-major avec tant de vérité, que le spectateur ne pouvait s’empêcher de songer à une revue de cavalerie. » Et devant une pareille scène, les Hottentots buvaient !

Ainsi les animaux sont redevenus maîtres des plaines qu’arrose la Vaal ; elles sont immenses, unies, longues à traverser au pas, monotones à mourir ; la nature, pour abréger l’ennui du voyageur, y a semé sur ses pas les plus gentilles fleurs, les bulbeuses surtout, si odorantes et si variées, afin que, laissant tomber plus près de lui son regard fatigué d’un horizon sans limites, il trouve à souhait mille corolles entr’ouvertes, mille parfums odorans qui le charment et le captivent. Combien de fois dans la vie ne trouve-t-on pas de longues périodes d’années ainsi faites, où tout serait ennui si l’on ne savait apprécier dans le cercle le plus restreint les plaisirs simples et cachés !

Au-delà sont les monts Wittebergen ou Quathlama, large ceinture basaltique qui enserre le rivage oriental à une distance de vingt-neuf à trente lieues de la mer ; pays peu connu, où se cachent les sources du Caledon et du Nu-Gareep, où vivent retirées beaucoup de nations sauvages, parmi lesquelles plus d’une sont cannibales, si on en croit le rapports de hardis missionnaires français qui, les premiers, ont fait connaître les tribus des Barimos et des Ba-Mahakanas.

Traverser ces contrées pendant l’été (décembre et janvier), c’était choisir le meilleur temps pour n’éviter aucun des nombreux inconvéniens qui les rendent presque inhabitables : chaleur suffocante, sources rares, marais fétides, mirage éternel qui montre aux yeux fatigués des lacs fuyans ! Mais un dernier et véritable malheur y attendait la caravane. Des débris d’animaux, des huttes creusées en terre, annonçaient le voisinage des Bushmans ; les voyageurs allaient en avant, heureux de sentir le terme prochain de leur expédition, lorsqu’un jour « plusieurs fantômes à forme humaine se dessinèrent à l’horizon, courant à toutes jambes vers le sommet d’une colline déjà couverte d’une troupe d’individus de même espèce. » On entra en pourparler ; rien ne se passa d’extraordinaire ; seulement on veilla bien autour des wagons durant la nuit, tandis que les Bushmans allumèrent des feux sur les hauteurs. Le lendemain, la petite troupe traversa un camp d’émigrans, désert comme le premier, passa une rivière (la Modder), et chemina toujours, escortée de près ou de loin par les Bushmans. Enfin, une nuit les bœufs disparurent. Ce