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n’étaient pas des lions qui les avaient dévorés ; ils venaient d’être enlevés par ces pygmées, qui, retranchés sur une éminence, criaient avec fierté : « Les voilà, ils sont ici, vos bœufs ; venez les prendre, si vous êtes des hommes ! » Il fut convenu qu’on ferait contre les voleurs une attaque nocturne à la manière de celles de Bas-de-Cuir contre les Peaux-Rouges, mais assurément moins sérieuse, et de part et d’autre assez grotesque. Que l’on se figure cinq ou six hommes montés sur des « squelettes de chevaux, » partant à minuit pour assiéger dans leurs trous une horde de Lilliputiens ! Après cinq heures d’attente, le jour paraît, les fusils armés menacent l’invisible ennemi ; mais, au lieu des pillards, nos deux voyageurs ne trouvèrent que les cadavres de dix-neuf de leurs bœufs, dévorés par des chiens. La colère des chasseurs, frustrés dans leur vengeance, dut nécessairement tomber sur les innocens quadrupèdes de la plaine. La ressource dernière était de monter les meilleurs chevaux et d’aller chercher du secours. Les deux Anglais firent route au sud, et leur bonne étoile les mena droit à un camp d’émigrans hollandais. Là finit, à vrai dire, leur voyage dans ce qu’il a d’aventureux. De nouveaux attelages allèrent rejoindre les wagons et les conduisirent, après de longues journées encore, « à la civilisation, » puis à la colonie du capitaine. Ainsi cet incident, capital en lui-même, mais sans suite trop fâcheuse, fut comme le coup de vent à l’entrée du port, qui fait que, pour preuve du danger couru, on mouille en rade avec quelques voiles en lambeaux.

Les voyageurs rapportaient une ample collection de dessins, de peaux préparées, de notes et de magnifiques souvenirs ; ils venaient d’accomplir une excursion non-seulement périlleuse, mais dans laquelle il avait fallu une grande énergie morale pour se tracer une route, une courageuse persévérance pour la suivre sans dévier, au milieu des obstacles incessans qui naissaient des hommes et des choses. Quant aux privations, avaient-elles été sérieuses ? Je laisse au lecteur le soin d’en juger par ce passage : « Le voyageur dans l’Inde, accoutumé aux aisances que procurent une tente et le service des domestiques, peut à peine se faire une idée des mille difficultés, détresses et désappointemens qui attendent le chasseur errant dans le désert d’Afrique. ....... Rien ne peut surpasser l’ennui que causent les Hottentots, dont l’indolence nous forçait souvent à nous lever la nuit. La pluie, qui nous poursuivait sans relâche, triplait au moins le decomfort que nous éprouvions. Je ne le nie pas, parfois j’ai soupiré après les douceurs auxquelles nous avons été ac-