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le sens sérieux qu’on peut donner à ce mot. Le monde proprement dit, et c’est même ainsi qu’il mérite son nom, nous offre chaque soir, dans un espace étroit, la réunion de tout ce qui parle à notre ame. Le merveilleux attrait des voyages y pénètre avec des hommes qui ont vu couler les ondes du Nil et salué les cimes de l’Atlas ; des poètes dont les vers sont au nombre des choses de votre cœur y font sentir le charme victorieux du génie ; des noms dont les oreilles sont doucement chatouillées y rappellent à chaque instant le prestige immortel de la naissance. Il existe un certain esprit ailé et brillant qui butine sur tous ces élémens et compose ainsi un miel délicieux. Cet esprit, qui est l’esprit du monde, est celui que M. de Barante a reçu.

Une urbanité qui n’exclut pas toute ironie, mais qui n’admet qu’une ironie tempérée et presque onctueuse, une grande délicatesse d’expression et surtout cette précieuse élévation de pensée qui naît et se développe naturellement dans certaines régions de l’ordre social, telles sont les qualités que possède M. de Barante, et que son discours nous a tour à tour montrées. M. de Barante a pris le rôle que M. Patin n’avait pas même essayé de remplir ; il nous a parlé de la littérature ancienne et des principes de la critique. De bruyans applaudissemens ont couronné le rapide passage où il traitait de la Grèce. Cette terre inspiratrice a rarement été célébrée en phrases d’un souffle plus entraînant et d’un rhythme plus savamment cadencé. Ce morceau était un véritable triomphe pour les gens du monde, qui voyaient qu’on peut aimer et comprendre les Grecs sans appartenir à la docte corporation dont Rollin fut si long-temps le chef. M. de Barante n’a pas eu moins de bonheur en caractérisant la critique moderne. Il a peint avec de vives couleurs cette appréciation animée qui participe de la sensation autant que du jugement. Tout en condamnant, et même trop sévèrement peut-être, les recherches plus inquiètes qu’heureuses de l’art actuel, il a tenu compte à notre époque du généreux désir dont elle est tourmentée, de faire pénétrer dans toutes les parties de la littérature ce je ne sais quoi de vivifiant et de nouveau tiré par Shakspeare et par Goethe des profondeurs de la nature et des entrailles de l’ame humaine. C’est l’examen plus intelligent des œuvres antiques, l’étude plus courageuse des sources de l’histoire, enfin la préoccupation plus ardente de toutes les questions d’art et de philosophie, qui ont amené ce mouvement dont profite déjà, comme il l’a si bien remarqué, le langage de nos savans, moins ardu, plus animé, empreint même parfois d’une certaine éloquence poétique.

On comprend sans peine que M. de Barante n’a pu qu’effleurer tant de grandes questions littéraires. C’est déjà beaucoup de les avoir soulevées. Il faut parler aux hommes assemblés des choses qui inquiètent et passionnent les esprits. On ne peut nier qu’en ce temps-ci les questions d’art soient de ce nombre. La société commence à se rasseoir, et dans les classes élevées qui se reforment s’éveille, comme autrefois, une tendre sollicitude pour les efforts