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REVUE LITTÉRAIRE.

mal la trop vive lumière qui vient du dehors. Après avoir fait appel à l’autorité de Goethe ou de Byron sur un sujet antique, il revient bien vite aux notes de Dacier. Un seul exemple fera juger de l’attitude de M. Patin devant les chefs-d’œuvre de l’art grec. Il s’agit de Prométhée, cette tragédie gigantesque d’Eschyle, qui remplissait d’enthousiasme, à l’égal des rochers et de l’Océan, le cœur du chantre de Child-Harold : comment va-t-il caractériser cette légende sublime du paganisme dans laquelle l’imagination effrayée reconnaît à la fois et la prophétie des luttes éternelles de l’humanité et l’instinct confus des mystérieuses douleurs d’où sortira le christianisme ? C’est, nous dit M. Patin, un sujet difficile à accepter, car, pour sa part, il ne peut point comprendre la colère de Jupiter contre les efforts innocens de la civilisation naissante. Cela posé, il cherche à nous démontrer qu’une fois résigné à cet étrange sujet, on trouve des beautés incontestables dans la pièce du tragique grec.

Le discours de M. Patin n’est pas de nature à détruire le jugement qu’on peut porter sur lui d’après un semblable trait. Il serait cependant à désirer que les hommes appelés à prendre place parmi les représentans de l’intelligence française se crussent obligés, dans un jour de gloire, souvent l’unique de leur existence, de tirer des pensées qu’ils ont poursuivies ou des évènemens auxquels ils ont pris part quelque leçon profitable pour leurs auditeurs. On voudrait, en un mot, avoir ce jour-là sous les yeux un homme qui vous introduirait dans son ame, qu’il aurait seulement pris soin de parer, comme on pare sa maison les jours où l’on attend des hôtes. Alors les discours académiques auraient cette saveur originale que tout esprit reçoit de ses propres impressions, au lieu de cette monotonie fatigante qui naît d’un panégyrique obligé. Le prédécesseur de M. Patin possédait, comme écrivain dramatique, la veine d’Andrieux encore affaiblie, ce qui constitue un talent presque inappréciable à force d’être délicat. À l’indolente culture des lettres, M. Roger mêlait le travail régulier d’une place ; c’est ainsi que s’est passée sa vie. M. Patin nous a raconté cette existence avec autant de détails que si c’eût été celle d’un des maîtres de notre scène. Il a épuisé pour son sujet toutes les ressources de l’anecdote, toutes les subtilités de l’analyse. Nous avons appris à quelle succession d’idées, à quel enchaînement de circonstances notre théâtre devait la comédie de l’Avocat ; maint opéra-comique oublié a été évoqué du néant ; on eût dit un article nécrologique emprunté aux mémoires de Bachaumont sur le chevalier Rochon de Chabanne ou sur M. de la Poupelinière. Est-il rien qui inspire plus profonde tristesse que de voir, exposée en vente dans une maison mortuaire, la garde-robe fanée d’une coquette ? Eh bien ! nous avions pour notre part le cœur serré d’une tristesse semblable, à cet étalage public de frivoles souvenirs, derrière lesquels était aussi l’idée de la mort.

M. de Barante a ramené l’attention de l’auditoire sur des sujets à la fois plus graves et plus intéressans. Il n’est point d’homme qui représente mieux que notre ancien ambassadeur à Saint-Pétersbourg l’esprit du monde dans