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REVUE. — CHRONIQUE.

par le spectacle des grands siècles, pousser enfin l’esprit dans ses voies, dans les voies de la morale et du talent, en montrant l’éternelle alliance de la beauté et de la vérité, voilà quelle doit être sa mission nouvelle. » Et comme le dit avec raison le jeune professeur : « En quoi la modestie se trouverait-elle compromise par ce but, un peu grandiose peut-être ? C’est moins encore par le résultat obtenu que par l’effort tenté, qu’il est équitable de juger les hommes ; l’effort est dans les limites de la volonté, le reste est un don… Ne redoutons pas les grands buts, on ne perd jamais rien à s’exagérer la portée de ses devoirs, car la dignité humaine en est relevée, car l’esprit gagne à vivre dans ces sphères plus sereines. » Envisagée de ce point de vue, l’histoire des lettres romaines, faite du sein de la France du XIXe siècle, ne peut manquer d’exciter un intérêt réel, et de porter en elle un enseignement profitable. Rome et la France, quel point de départ et quel but ! N’est-ce pas la plus magnifique et la plus étonnante hérédité du gouvernement intellectuel ? N’est-ce pas le triomphe, ici des armes, là des idées ; des deux côtés la conquête du monde ? La civilisation et les lettres ont-elles jamais eu des apôtres plus actifs, plus vigilans ? Ce flambeau de la vie, lampada vitaï selon le mot de Lucrèce, ce flambeau dont les nations inquiètes attendent la lumière, n’est-ce pas des mains de Rome mourante que l’a recueilli le génie de la France ? Soyons justes envers ces devanciers illustres que nous continuons sans leur ressembler. »

Ces quelques lignes que nous transcrivons ici, recueillies, peut-être altérées, au courant de la parole du professeur, font deviner cependant sa méthode et son procédé. Comparer le passé et le présent, dégager, dans la poésie même, le côté réel et pratique, chercher l’homme sous l’écrivain, qu’il s’appelle Eschyle ou Shakspeare, Virgile ou Dante, montrer, à travers les variations de la surface humaine, l’immobilité des sentimens éternels qui font dans tous les âges les grands artistes et les grands poètes, et, dans ces appréciations diverses, éviter tout à la fois un fétichisme étroit pour la poésie des temps païens, un enthousiasme exclusif et obstiné pour la poésie des âges nouveaux, tel est le but que se propose M. Labitte ; les sympathies du public ne lui manqueront pas, non plus que la science et le talent. Il y aura profit à le suivre dans ses conversations studieuses avec les hommes des temps antiques ; car, ainsi qu’il le dit lui-même : « Je ne séparerai point la poésie de Rome de son histoire, je chercherai à montrer ce qu’elle a reçu du génie grec, ce qu’elle a puisé en elle-même, ce qu’elle a donné aux sociétés postérieures, les traces profondes qu’elle a laissées empreintes dans leurs littératures ; en un mot j’aurai à suivre ces voies romaines qui conduisaient aux extrémités de l’empire, mais qui toutes ramenaient à la ville éternelle. J’essaierai surtout de mettre en relief ce sentiment si vrai des réalités de la vie, que la poésie latine exprime avec un accent profond et réservé en même temps qui va au cœur, tremulo scalpantur ubi intima versu, comme dit Perse.