Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/387

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
381
ÉTAT DE LA PHILOSOPHIE EN FRANCE.

est successive et limitée, l’autre que le temps est éternel, et il a employé, pour le prouver, une année de son enseignement et un volume de ses œuvres. Jugez, à la bonne heure, l’ensemble d’une doctrine ; mais isoler une phrase de ce qui la précède et de ce qui la suit, c’est se condamner soi-même à l’erreur. Quel chemin on ferait faire aux plus grands esprits avec un tel procédé ! M. l’évêque de Chartres ne veut pas que M. Cousin puisse dire que Dieu est dans l’espace ; mais que dira-t-il de cette phrase de saint Anselme : Dieu n’est pas seulement dans tous les lieux, mais dans tous les êtres ? Et de cette autre : Il est nécessaire que la nature de Dieu soit dans tout ce qui est, de manière qu’elle soit une, la même et tout entière en même temps en chaque chose[1] ? N’est-ce pas là du panthéisme au même titre ? Eh bien ! que ce soit un nom de plus pour la liste de M. Maret et de M. Goschler !

Il se passe en ce moment un fait qui mérite au moins d’être remarqué. Dans la préface d’un volume qu’il vient de publier sur Pascal, M. Cousin revient sur cette accusation de panthéisme, et dans les termes les plus explicites il renie le panthéisme sous son nom et sous sa formule ; même, pour ne laisser aucune prise à l’erreur ou à la mauvaise foi, reprenant quelques-unes de ses opinions, il en fait voir le véritable sens, et déclare que, si l’on persiste à les interpréter autrement, il les retire. Cette préface contient encore, non pas une profession de foi religieuse, personne n’a le droit d’en demander une à M. Cousin, c’est l’affaire de sa conscience et voilà tout, mais une protestation de son respect pour la religion chrétienne, une déclaration expresse qu’en cherchant librement la vérité par les lumières naturelles, il n’a jamais rien avancé qui soit contraire à l’existence du fait historique d’une révélation et aux conséquences religieuses qui en découlent. L’école éclectique a toujours pensé que la recherche de la nature de Dieu par la lumière naturelle de la raison était une science, et que l’exposition des prophéties et des témoignages qui établissent la divinité du christianisme en était une autre. Cette déclaration de M. Cousin devait naturellement lui attirer les reproches de ceux qui font consister la philosophie dans la négation du christianisme, et ces reproches ne lui ont pas manqué. Mais ce qui, au premier coup d’œil, ne semble pas aussi naturel, c’est qu’une telle déclaration ait pu ranimer les craintes du clergé. Cependant qu’avons-nous vu ? À peine un extrait de la préface de M. Cousin eut-il

  1. Monologium, XXIII.