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ÉTAT DE LA PHILOSOPHIE EN FRANCE.

philosophie nouvelle, il a aussi détruit d’anciennes et fatales influences, et restauré des études presque abolies. Où en était l’histoire de la philosophie, quand il commença à professer ? On peut en juger par ce seul fait, que le livre de M. de Gérando rendit, lorsqu’il parut, un véritable service. M. Cousin s’attacha d’abord à Platon, et bientôt par ses ouvrages, par son enseignement, il accoutuma les esprits à reprendre le chemin des anciennes écoles. Dans une science comme la philosophie, où les problèmes présentent tant d’aspects divers, où les difficultés semblent naître des difficultés mêmes, il ne faut jamais séparer l’histoire de la spéculation. L’oubli et le dédain du passé sont une condition de stérilité pour l’avenir. En retrouvant tous ces systèmes combattus, soutenus tour à tour par les plus grands génies de tous les siècles, on retrouva le véritable champ des études philosophiques, et l’on remit à sa place cette famille de penseurs à courte vue, dernier reste de l’école de Locke, ou plutôt de Condillac, qui s’épuisait et se consumait, impuissante et ignorée, dans les froides analyses de l’idéologie. M. Cousin ne se borna pas à triompher du sensualisme en l’accablant de sa dialectique, il le supplanta partout, et détruisit le peu d’influence qui lui restait dans les écoles. Au lieu de dater de Locke et de Condillac, on data de Descartes et de Leibnitz, on remonta jusqu’à Platon. On apprit presque avec étonnement qu’il y avait en Écosse une école sage et mesurée qui déjà avait su faire bonne justice de la philosophie empirique ; on s’occupa du grand et puissant développement qu’avait pris la philosophie allemande, et les noms de Kant, de Fichte, de Schelling, de Hegel, furent prononcés parmi nous pour la première fois. Fidèle à sa méthode historique, M. Cousin dans chaque école était à la fois un juge et un disciple ; il suivait Kant dans les voies nouvelles qu’il ouvrait à la métaphysique, mais sans se livrer, sans abdiquer, opposant à ce redoutable scepticisme une psychologie moins chimérique dans son fondement, sans cesse attentif à rétablir le véritable caractère de nos facultés, à tirer d’une observation plus approfondie de notre intelligence la nature même de l’intelligence en soi, et à faire voir que cette lumière qui nous distingue des êtres inanimés sur lesquels nous régnons est un bien, un être positif, et non pas une suite de notre infirmité, une condition négative de notre nature humaine. L’antique symbole de la caverne troublait Kant, qui craignait toujours que nos idées ne fussent que des ombres, et qu’on ne fît que proclamer l’utilité des ténèbres en cédant à la nécessité de la raison. La psychologie de M. Cousin ré-