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CRISE DE LA PHILOSOPHIE ALLEMANDE.

moral et du physique, sur la nature, sur l’ame et sur Dieu. Les divisions, les formes, les lois de la grammaire, supposent toute une logique. Il y a dans chaque langue comme un système du monde ; la diversité des langues trahit donc une diversité de vues sur l’univers, dont la plus haute et la plus vraie expression est dans la diversité religieuse. C’est là le fait auquel nous sommes forcés d’arriver pour expliquer la diversité des peuples : les autres causes étaient insuffisantes, celle-ci ne l’est plus. Le polythéisme, en brisant l’unité de Dieu, brisa celle de l’humanité. Lorsqu’une nouvelle mythologie s’enfantait, tout subissait une altération chez ceux qu’affectait cette crise. La pensée se troublait jusque dans ses plus secrètes profondeurs ; la langue se modifiait sous cette influence, et il apparaissait une religion, un idiome, un peuple nouveau, qui se détachaient de la souche commune. Il fallait que le Dieu un fût rendu aux hommes pour qu’ils pussent retrouver le souvenir de leur unité perdue. Ce ne sont donc point les peuples qui ont créé leurs mythologies ; ce sont les mythologies qui ont produit les peuples. Chacun d’eux a reçu de la sienne l’existence et toutes ses destinées. Ces idées sont développées par M. Schelling avec largeur et puissance. La majesté du récit, la simplicité de l’ordonnance, font de son cours sur les mythologies une œuvre d’artiste aussi bien que de penseur. De tous les systèmes proposés sur ce sujet, le sien est assurément le plus grand et le plus original ; mais enfin c’est un système, le temps n’en est pas encore venu, et je craindrais fort pour ce beau poème un aristarque orientaliste.

La philosophie de la révélation couronne le système de M. Schelling. J’ai le regret d’en pouvoir à peine parler. C’est ici que M. Schelling abuse le plus de son hypothèse ontologique. Ses démonstrations en prennent quelque chose de si étrange, que les résumer serait le sûr moyen de les rendre inintelligibles. Quelques mots seulement. La suite naturelle de la chute était la ruine de l’homme. En tombant, il donna l’empire absolu de lui-même au principe de la matière ; ce principe, en l’envahissant tout entier, aurait anéanti l’esprit, c’est-à-dire l’homme. Cela n’est pas arrivé. Une volonté s’est donc opposée à notre perte, et cette volonté qu’il faut chercher ailleurs qu’en l’homme, ne peut se trouver qu’en Dieu. La chute n’était réparée que si le principe de la matière était de nouveau réduit. Il ne pouvait l’être que par la force rivale, comme dans la création. Cette force apparut alors soumise à Dieu et tout à la fois unie à une race coupable, elle devint le Verbe médiateur, elle sauva l’humanité dé-