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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

payer loyalement ses impôts. Du reste, il joue son rôle comique avec tant de naturel, qu’on doit croire qu’il est doué d’un remarquable talent mimique, ou qu’il y a dans son fait plus de sérieux que de plaisanterie. »

M. Wasselrode passe tour à tour en revue les érudits qui écrivent commentaires sur commentaires, les poètes qui se donnent des airs mélancoliques de Byron et regardent chaque soupir qu’ils exhalent comme un élan de leur génie ; puis il arrive aux pompes impériales de l’Autriche et au diplomate habile qui, depuis quarante ans, gouverne cet empire.

« Silence ! une assemblée nombreuse apparaît. L’empereur romain et sa suite vont se montrer dans un quadrille historique. Le peuple accourt de tous côtés et se dispute une place pour voir ce spectacle ; il se presse, il s’entasse avec une sorte de frénésie. On entend les cris d’angoisse, le râlement des femmes et des enfans écrasés dans le tourbillon ; mais les masses sont sans pitié. N’importe qui tombera, pourvu que nous puissions dire à nos enfans et petits enfans : Nous avons vu le manteau rouge de l’empereur romain, les officiers impériaux portant sur leur tête des casques étincelans et sur la poitrine les armoiries de l’état, ouvrant avec leurs hallebardes une rue au milieu de la foule. Le cortége est aussi pompeux qu’un intendant de la cour a pu le faire ; hommes et chevaux sont couverts d’étoffes splendides ; tout est brodé, armorié, empanaché à la façon du moyen-âge. Les historiens, qui, non contens de prêcher la contre-révolution, demandent encore le contraire de la révolution, affirment que ces costumes du moyen-âge sont non-seulement très poétiques, mais qu’on doit les regarder comme une garantie du repos social. En vérité ils n’ont pas tort, les hommes du moyen-âge ressemblaient à des dômes ambulans avec des façades architectoniques, des flèches, des volutes, des chapiteaux. Tous leurs vêtemens criaient, grinçaient, sifflaient ; ils portaient dans ces vêtemens leur cachot avec eux et ne pouvaient prendre aucun élan physique ni intellectuel. Un homme de nos temps, avec ses cheveux courts, son habit étroit, sa cravate plissée, du haut de laquelle sa tête tourne librement de côté et d’autre, appartient au mouvement et ne peut être trop surveillé.

« Parmi les hauts fonctionnaires de l’état, nous distinguons un courtisan richement galonné : c’est le conseiller intime de son maître ; il marche auprès de lui et lui souffle à l’oreille de pieuses maximes de gouvernement. Voyez quel caractère a ce masque, comme tout y est fortement empreint et gravé ! qui pourrait démêler, dans les hiéroglyphes de ses rides, les passions d’un homme de cœur ? Et ce sourire glacial, ce sourire démoniaque, voyez, quelles tristes traces il a laissées sur les teintes vertes de ce masque métallique ; ah ! croyez-moi, c’est la plus malheureuse figure de tout ce carnaval de la vie, plus malheureuse encore que le tragique masque de fer de Louis XIV !

« Les autres masques peuvent encore, après leur travail journalier, leurs efforts honnêtes ou leur hypocrisie fatigante, reprendre dans le sommeil leur figure humaine ; on a vu de vieux maîtres d’école, pauvres souffre-douleurs du monde grammatical, sourire dans leur repos quand leur rêve heu-