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reux leur rappelait l’âge d’or de la fable grecque. Les censeurs peuvent aussi sourire dans leur sommeil en songeant qu’ils boivent dans le même vase que la littérature démocratique. La reine Mab visite la couche de tous les hommes qui souffrent, et assoupit dans un baiser les souffrances de leurs veilles ; le malheureux conseiller de l’empereur dort, quand il peut dormir, avec son lourd masque de fer et l’expression de son hypocrisie diplomatique. »

Qu’on nous permette de citer encore un passage de M. Wasselrode sur le style politique de sa nation. Cette fois on ne nous accusera pas d’être le jouet d’une rigoureuse prévention et d’une erreur. C’est un Allemand même qui parle : « Nous avons, dit-il, dans notre style plus de variété qu’aucune autre nation, car notre langue, comme l’a dit un poète, pense et compose pour nous. Nous pouvons parsemer nos périodes de tant de mots élégans, de tant de sel attique, que les graces et les muses s’en réjouiraient, et nous pouvons pousser la rudesse béotienne jusqu’à l’injure la plus grossière. Nous faisons des hexamètres avec la rapidité de l’éclair, et des pentamètres avec le même abandon. Notre langue peut être si scientifique qu’elle en devienne incompréhensible, et si frivole que les rédacteurs du Journal évangélique en soient épouvantés. La langue teutonique, dont on a si souvent loué la loyauté, peut avoir aussi ses équivoques machiavéliques ; les habiles joueurs de gobelets peuvent faire avec cette langue des tours de passe-passe comme avec des cartes, et à l’aide des mêmes mots avec lesquels ils nous faisaient une promesse qui excitait notre enthousiasme et notre reconnaissance, ils nous développent une idée tout opposée.

« Il en est de la langue allemande comme des Suisses : elle est née libre et républicaine, elle gravit les Alpes escarpées, les glaciers de la poésie et de la pensée, et s’élance avec l’aigle vers le soleil ; et, comme les Suisses, elle sert de garde au despotisme. Ce que le roi de Hanovre a dit à son peuple en mauvais allemand, il n’aurait pu l’exprimer mieux s’il avait employé l’anglais. Notre langue, enfin, est comme certaines pilules propres à tout ; il lui manque seulement une chose dont elle a grand besoin, le style politique.

« Lorsque l’Allemand essaie de faire valoir les simples droits politiques qui lui sont assurés par un papier timbré, comme sa femme par un contrat de mariage, alors il enferme ses prétentions dans un tel réseau de phrases de chancellerie, de formules de respect, de protestations de fidélité et de dévouement éternel, qu’on prendrait son écrit pour la déclaration cérémonieuse d’un garçon tailleur plutôt que pour une juste réclamation, car l’Allemand n’est pas assez courageux pour user de ses droits, et il demande mille fois pardon quand il ose croire, penser, soupçonner ou pressentir qu’il pourrait avoir quelque titre à formuler une légère demande politique. Que s’il s’enthousiasme pour son droit jusqu’au point de s’avancer, comme a dit Schiller, avec une fierté d’homme devant le trône des rois, il fait alors tant de pathos théâtral, qu’il n’atteint pas son but. La plupart de nos suppliques pour la liberté de la presse ne ressemblent-elles pas à ce marquis de Posa, revêtu