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M. de Lamartine se trouvera peut-être d’accord avec elle sur quelques questions de réforme électorale, sur l’adjonction des capacités, sur les incompatibilités, que sais-je ? Mais, n’en déplaise, ce ne sont pas là des questions capitales aujourd’hui. À part quelques écrivains et quelques députés, qui pense dans ce moment à ces questions ? qui s’en occupe ? Personne. Reste donc l’extérieur. À cet endroit, l’accord entre M. de Lamartine et l’opposition est-il réel ou n’est-il qu’apparent ? Plein d’idées généreuses et de sentimens expansifs, M. de Lamartine est, par son esprit et par ses tendances, quelque peu cosmopolite. Il aime la paix ; il ne veut point de guerre offensive ; il repousse les conquêtes ; c’est dire qu’il respecte les traités de 1814 et 1815 ; il est philanthrope, négrophile, et nous ne savons pas si, au risque de voir les négriers étendre leur infame et abominable trafic, M. de Lamartine verrait avec plaisir supprimer le droit de visite.

L’esprit de la gauche au contraire est tout-à-fait positif. On la méconnaît lorsqu’on lui reproche de n’avoir que des idées vagues et de ne pas savoir ce qu’elle veut. Elle sait parfaitement ce qu’elle veut, et ses idées sont arrêtées jusqu’à l’obstination. On peut croire qu’elle désire l’impossible, qu’elle se propose un but qu’on ne saurait atteindre ; mais ses désirs sont connus, le but est déterminé. La guerre l’effraie peu, les conquêtes ne lui déplaisent point ; les traités de 1814 et 1815 lui sont odieux, elle est sans doute philanthrope, mais d’une philanthropie qui ne la gêne guère. C’est ainsi qu’elle veut avant tout l’abolition du droit de visite, sauf à voir après ce qu’il adviendra de la traite des noirs et de l’esclavage. Bref, on peut trouver la politique de l’opposition imprudente, turbulente, téméraire ; mais il n’y a rien là de poétique, de social, d’humanitaire.

Faut-il dire notre pensée tout entière ? M. de Lamartine est poussé à l’opposition plus encore parce qu’il n’aime plus les conservateurs, que par inclination pour la gauche. Il a cru de bonne foi se sentir rapproché des uns par cela seul qu’il brisait ses liens avec les autres. La théorie lui a dit qu’après tout il faut se mettre avec quelqu’un et ne pas marcher seul. Sa nature, plus forte que la théorie, l’emportera sur ces combinaisons politiques, et il marchera seul, ou à peu près seul. Qu’il s’en console : c’est ainsi que se comportent les aigles.

Quoi qu’il en soit, le rôle de M. de Lamartine devient difficile, sa position très délicate. Plus il s’isolerait des hommes parlementaires, plus les partis qui s’agitent en dehors de la légalité fixeraient les yeux sur lui, et pourraient nourrir à son endroit des espérances que M. de Lamartine ne réaliserait certes pas, mais dont il serait déjà déplorable d’être l’objet. La parole de M. de Lamartine est si puissante ! si propre à remuer les cœurs, à exalter les esprits ! L’illustre orateur le sait bien. Les hommes auxquels la Providence a confié le feu sacré, les princes de l’imagination, doivent plus que tout autre, dans les orages de la politique, ménager leur parole, contenir leur force. Ils peuvent ajouter à la tempête comme ils peuvent l’apaiser. Ils ont devant eux deux carrières, deux buts, deux renommées. Le caractère et les