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REVUE. — CHRONIQUE.

antécédens de M. de Lamartine nous rassurent. Il a pu se détacher des conservateurs de la chambre ; il ne se séparera jamais de l’ordre public.

La chambre est entrée dans la discussion des paragraphes de l’adresse. À propos du paragraphe où il est parlé du bon ordre des finances et du crédit public fondé sur notre économie comme sur notre richesse, M. Jacques Lefebvre voulait qu’on ajoutât : et sur notre loyauté. Cela pour donner une leçon, une admonestation officielle, solennelle, au gouvernement des États-Unis. Mais qu’a donc M. Lefebvre ? Quelle inquiétude l’agite, le tourmente ? Il paraît s’être donné la mission de nous brouiller avec l’univers. Au nom de Dieu, qu’on le nomme ministre des finances, et qu’il n’en soit plus question. Il a décidément besoin d’un portefeuille pour se calmer. Au surplus, comme il ne s’est pas trouvé dans la chambre un seul membre qui l’ait appuyé, l’amendement n’a pas eu les honneurs d’un vote.

Le paragraphe qui a trait à notre politique en Orient a donné lieu à une longue et intéressante discussion, à laquelle ont pris part M. le ministre des affaires étrangères, M. de Carné et M. Janvier. M. David, ancien consul à Smyrne, a proposé un amendement dont le but réel était de pousser le gouvernement à ressaisir, en Orient, sur les populations catholiques, une grande influence, une protection exclusive. Nous le craignons, c’est là un anachronisme, plein sans doute de bonnes intentions et de nobles sentimens. On oublie trop que l’Orient n’est plus ce qu’il était ; qu’il a eu ses révolutions, que l’empire a été démembré, qu’il s’est formé à côté un royaume chrétien, le royaume de Grèce, royaume qu’il faut maintenir à tout prix, et agrandir un jour si cela est possible ; que l’Orient est toujours à la veille d’une grande crise politique, d’une crise qui pourrait agiter le monde entier et amener de grandes catastrophes. Il est évident qu’en présence, de ces faits nouveaux, la diplomatie a dû modifier ses allures, élargir son horizon, et voir de plus haut les mêmes questions qu’on pouvait traiter jadis comme des questions toutes locales et isolées. Ce n’est pas trop du concours de l’Europe pour préparer, si cela est possible, une solution pacifique et équitable du problème oriental. Ce que nous reprocherions à la diplomatie européenne, ce n’est pas son intervention, mais sa lenteur ; ce que nous reprocherions à la nôtre, ce n’est pas de conférer de ces grandes affaires, de ces graves complications, avec les autres diplomaties chrétiennes, mais c’est de ne pas le faire avec plus d’énergie, plus de résolution ; c’est de ne pas faire assez sentir que la France, étant évidemment la plus désintéressée dans les affaires matérielles de l’Orient, saurait au besoin déployer, même seule, au profit de l’humanité et du christianisme, une puissance que les plus malveillans ne pourraient calomnier. Une allure plus résolue et au besoin plus énergique stimulerait les cabinets, qui ne voudraient ni être devancés ni s’exposer à des complications inattendues, et imposerait à la Porte. Il est ridicule de voir les envoyés de l’Europe joués par des ministres turcs en l’an de grace 1843.

Quoi qu’il en soit, la question a changé de face aujourd’hui à la chambre. La commission avait modifié le paragraphe du projet, et M. David s’était