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VAILLANCE.

l’enfance turbulente du dernier né, était devenue morne et désolée comme un tombeau. En perdant le petit Hubert, le logis avait perdu la seule grace qui l’embellissait. Les trois frères aimaient cet enfant ; Joseph surtout le chérissait d’une tendresse peu commune. Hubert était leur jouet, leur distraction, en même temps que leur espoir. Point portés vers le mariage, voués au célibat par raison autant que par goût, ils avaient mis tous trois sur cette blonde tête l’avenir de leur dynastie. Ils s’étaient reposés sur lui du soin de perpétuer leur race. Quels beaux projets n’avait-on pas formés autour de son berceau ! Quels doux rêves n’avait-on pas caressés, le soir, aux lueurs de l’âtre, tandis que le bambin grimpait aux jambes du vieux corsaire, ou qu’il s’endormait doucement entre les bras du bon Joseph ! De quels soins on se promettait d’entourer sa jeunesse ! Quelle éducation on lui réservait ! Unique héritier de ses frères, à quel riche et brillant parti ne pourrait-il pas prétendre un jour ! Beaux projets et doux rêves balayés par un coup de vent ! Pour comprendre la douleur des Legoff, il faut savoir quel abîme de deuil et de tristesse est dans une maison le vide d’un berceau ; il faut avoir pleuré sur le bord d’un de ces nids froids et silencieux qu’on a vus pleins de gazouillemens, de joyeux ébats et de frais sourires.

La présence inespérée de Jean éclaircit ces teintes funèbres. La joie de se revoir, la surprise de Jean, qui avait laissé une chaumière et qui rentrait dans un château, le bonheur des trois frères en retrouvant leur aîné, qu’ils avaient cru mort ; puis, de part et d’autre, les récits merveilleux, les causeries intimes, les épanchemens fraternels, tout ne fut d’abord qu’ivresse, enchantement. Christophe et Jérôme racontèrent leurs prouesses et quelle terrible guerre ils avaient faite au commerce anglais ; Jean raconta ses campagnes et l’histoire de sa captivité. Joseph les écoutait, car il était le seul qui n’eût rien à conter. Tout alla bien durant quelques mois. Jérôme et Christophe étaient de francs marins, Jean était un franc soldat ; bons compagnons tous trois, ayant les mêmes goûts, les mêmes sympathies, les mêmes opinions politiques. Cependant, élevés dans le travail, taillés pour la lutte, habitués de bonne heure aux périls d’une existence aventureuse, jeunes tous trois et pleins de vigueur, ils durent en arriver bientôt à se ressentir du malaise qu’engendrent nécessairement chez les organisations de cette trempe le repos et l’oisiveté. C’étaient de braves et honnêtes natures, mais rudes et grossières, incapables de suppléer l’activité du corps par celle de l’intelligence. Les jours étaient longs et longues les soirées. Leur curiosité