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Un incident imprévu changea tout à coup la face des choses.

Durant les nuits qu’il avait passées près d’elle, Joseph avait bien remarqué que Jeanne portait souvent à ses lèvres une relique suspendue à son col. Le pieux garçon, sans s’en préoccuper autrement, s’était félicité de voir qu’au milieu de ses chagrins, sa nièce eût recours aux saints du paradis.

— Tels sont, se disait-il, les fruits d’une éducation religieuse ! Quand tout nous abandonne ici-bas, les anges et les saints descendent du ciel pour essuyer nos larmes.

Cependant, une nuit que Joseph veillait seul dans la chambre de la jeune fille, il trouva par hasard la lettre de sir George que Jeanne, sous le coup de l’émotion qu’elle en avait reçue, avait négligé de serrer. Joseph lut cette lettre à la lueur voilée de la lampe ; les dernières lignes le troublèrent. Il se leva, courut au lit de Jeanne ; l’enfant reposait, calme et presque sereine. Joseph, en se penchant doucement, aperçut autour de son col la chaîne de cheveux qui retenait la relique de George. À cette vue, ses jambes se dérobant sous lui, il fut obligé de s’asseoir sur le bord de la couche. Enfin, d’une main tremblante, il détacha la chaîne, s’approcha de la lampe, et le jour levant le surprit à la même place, pâle, immobile, les yeux fixés sur la chaîne et sur la relique.

Ce fut le froid du matin qui le tira de la profonde stupeur dans laquelle il était plongé. Il porta ses mains à son visage pour s’assurer qu’il veillait, et que ce n’était point un rêve.

— Ô mon Dieu ! s’écria-t-il enfin en tombant à genoux, vos desseins sont impénétrables. Vous nous frappez d’une main et vous nous relevez de l’autre. Votre bonté est plus grande encore que vos colères ne sont terribles. Soyez béni, Seigneur, et faites que ce jeune homme n’ait point encore quitté nos rivages !

À ces mots, il se précipita hors de la chambre, fit seller un cheval, et, sans prévenir ses deux frères, s’éloigna au galop en se dirigeant vers Saint-Brieuc.

— Faites, mon Dieu, qu’il ne soit point parti ! répétait-il en pressant les flancs de sa monture.

Aux approches de la ville, il s’arrêta pour parler à des ouvriers du port qui se rendaient à leurs travaux. Joseph leur demanda si quelque navire n’avait pas mis récemment à la voile pour les côtes d’Angleterre.

— Non, dit l’un d’eux, à moins pourtant que le capitaine du Waverley n’ait appareillé cette nuit, comme il en avait l’intention.