Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/660

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
654
REVUE DES DEUX MONDES.

pas existé chez les anciens, si, dans tous les cas, elle a été inférieure à la sculpture, ne serait-ce point qu’elle n’a pas assez compris ses propres lois, et qu’elle a continuellement suivi celles du bas-relief ? Si au contraire, chez les modernes, la sculpture est demeurée bien loin de sa rivale, n’est-ce pas que, venue après la peinture, elle a voulu lui emprunter son genre de composition, faire ses bas-reliefs comme des tableaux, et arriver dans ses statues à des mouvemens et à des expressions que la peinture seule peut rendre ?

L’enfance des arts a voulu seule les réunir. Ils se séparent à mesure qu’ils avancent et qu’ils acquièrent ce qu’on pourrait appeler leur nationalité. Il est remarquable que, dans ces sortes de promiscuités, l’art le plus matériel absorbe l’art le plus intellectuel. Quelle poésie devient possible à l’Opéra, au milieu des tempêtes déchaînées des trompettes et des trombones ? Aussi a-t-on renoncé à voir un drame dans l’opéra. Le libretto ne sert plus que de support à la musique aérienne et flottante, qui s’y enlace comme la vigne à l’érable.

Il en est de même de la peinture ; elle ne peut guère inventer d’action, car elle serait obligée d’en donner l’explication aux spectateurs. Elle représente donc des actions connues ou censées connues, tirées des livres religieux ou des poèmes les plus universellement admirés. Il a pu arriver que des œuvres littéraires aient servi en quelque sorte de libretto à de grands artistes. Jules Romain a illustré de ses dessins pornographiques une œuvre qu’il ne doit plus être permis de nommer. Le Poussin a illustré le poème de l’Adonis du Marini ; les estampes d’après la fable de Psyché, dessinées par Raphaël et gravées par Marc-Antoine, sont aussi des illustrations. Les dessins de Flaxman, d’après Homère, Hésiode et Dante, ceux de Prudhon, d’après Daphnis et Chloé, ceux de Cornélius, d’après les Niebelungen, ceux d’Overbeck, d’après l’oraison dominicale, et de Martin, d’après le Paradis perdu, sont des œuvres qui, à des titres divers, font pardonner, par leur mérite, la lutte inégale de la gravure avec la poésie. Mais aujourd’hui quel est celui de nos grands peintres qui ait consenti, si ce n’est Delacroix, et encore par une erreur de jeunesse, à illustrer des œuvres littéraires ? Les entrepreneurs de publications pittoresques sont allés trouver tous les talens faciles, capables de composer des scènes et d’ajuster des figures ; il s’est rencontré des populations de graveurs assez habiles dans leur métier, et en peu d’années tous les livres qu’il était possible de couvrir de gravures en ont été couverts, sans excepter ces vieux fonds