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tredit le premier homme de cette partie de l’Asie ; il peut un jour ressaisir le pouvoir que les Anglais lui avaient enlevé, et redevenir plus dangereux que jamais.

Puisque nous parlons de lord Ellenborough, nous nous occuperons un instant d’un incident qui a soulevé en Angleterre les plus vives et les plus curieuses discussions, et qui a couvert le gouverneur-général de l’Inde d’un ridicule ineffaçable. Lord Ellenborough avait pourtant de bonnes intentions. Comprenant bien la déconsidération que les évènemens des deux dernières années avaient jetée sur le nom anglais, et la disgrace morale qu’avait subie la puissance anglaise dans l’esprit des populations de l’Inde, il avait voulu utiliser l’expédition de Caboul, et il avait imaginé de lui donner une couleur religieuse, mais, par malheur, une couleur de religion hindoue. Il avait lu dans l’histoire que, huit cents ans auparavant, Mahmoud le Ghaznévide avait envahi l’Inde, renversé les idoles hindoues, et, entre autres exploits, détruit le temple de Somnauth, dont il avait emporté à Ghizni les portes sacrées. Depuis lors, ces portes, en bois de sandal, étaient restées à Ghizni, et comme Mahmoud était un mahométan, ce trophée était un déshonneur pour la religion des Hindous.

Lord Ellenborough, voyant que les Anglais ne rapportaient de l’Afghanistan que peu de gloire, eut l’idée lumineuse d’en rapporter les portes de Somnauth. Bien des gens prétendent que les vieilles portes en bois de sandal sont apocryphes ; mais cela ne fait rien à l’affaire. Le tout était de flatter les Hindous et de leur faire accroire que les Anglais étaient allés dans le Caboul pour y venger, sur la tombe de Mahmoud, la vieille injure de leur caste. Lord Ellenborough fit donc proclamer que l’armée anglaise rapportait en triomphe les fameuses portes, et qu’elles seraient rendues solennellement au temple qui en avait été dépouillé depuis huit siècles. Ce fut à cette occasion qu’il adressa aux princes de l’Inde une proclamation qui est devenue en Angleterre un inépuisable sujet, non-seulement de risée, mais de scandale. Cette proclamation commençait ainsi « Mes frères et mes amis, notre armée victorieuse rapporte en triomphe les portes du temple de Somnauth, et la tombe dépouillée du sultan Mahmoud contemple les ruines de Ghizni (sic). L’insulte de huit cents ans est enfin vengée. Ces portes, si long-temps le monument de votre humiliation, sont devenues le plus brillant témoignage de votre gloire nationale et de votre supériorité sur les nations au-delà de l’Indus. C’est à vous, princes et chefs, que je confierai ce