Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
67
EL BARCO DE VAPOR.

des formes bizarres, des aspects inattendus ; on nous fit remarquer sur le sommet d’une montagne une entaille carrée, et qui semble pratiquée par la main de l’homme. Cette entaille s’appelle le Coup d’épée de Roland, du moins à ce que nous dit le capitaine du bateau à vapeur, à qui je laisse la responsabilité de ce renseignement. Le jour suivant, vers le matin, nous mouillions devant le Grao : c’est ainsi qu’on nomme le port et le faubourg de Valence, qui est éloignée de la mer d’une demi-lieue. La vague était assez forte, et nous arrivâmes au débarcadère passablement arrosés. Là nous prîmes une tartane pour nous rendre à la ville. Le mot tartane s’entend d’ordinaire dans un sens maritime ; la tartane de Valence est une caisse recouverte de toile cirée et posée sur deux roues sans le moindre ressort. Ce véhicule nous parut, comparé aux galeras, d’une mollesse efféminée, et jamais voiture de Clochez ne fut trouvée si douce. Nous étions surpris et comme embarrassés d’être si bien. De grands arbres bordaient la route que nous suivions, agrément dont nous avions perdu l’habitude depuis long-temps.

Valence, sous le rapport pittoresque, répond assez peu à l’idée qu’on s’en fait d’après les romances et les chroniques. C’est une grande ville, plate, éparpillée, confuse dans son plan, et sans avoir les avantages que donne aux vieilles villes bâties sur des terrains accidentés le désordre de leur construction. Valence est située dans une plaine nommée la Huerta, au milieu de jardins et de cultures où de perpétuelles irrigations entretiennent une fraîcheur bien rare en Espagne. Le climat en est si doux, que les palmiers et les orangers y viennent en pleine terre à côté des productions du Nord. Aussi Valence fait un grand commerce d’oranges ; pour les mesurer, on les fait passer par un anneau, comme les boulets dont on veut reconnaître le calibre ; celles qui ne passent pas, forment le premier choix. Le Guadalaviar, traversé par cinq beaux ponts de pierre, et bordé d’une superbe promenade, passe à côté de la ville, presque sous les remparts. Les nombreuses saignées qu’on pratique à sa veine pour l’arrosement rendent, les trois quarts de l’année, ses cinq ponts un objet de luxe et d’ornement. La porte du Cid, par laquelle on passe pour aller à la promenade du Guadalaviar, est flanquée de grosses tours crénelées d’un assez bon effet.

Les rues de Valence sont étroites, bordées de maisons élevées d’un aspect assez maussade, et sur quelques-unes l’on déchiffre encore quelques blasons frustes mutilés ; l’on devine des fragmens de sculptures émoussées, chimères sans ongles, femmes sans nez, che-