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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/77

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EL BARCO DE VAPOR.

rêverie et de silence, dont les arcades demi-ruinées prennent les tons grisâtres des vieilles architectures du Nord. La rue de la Plateria (de l’orfèvrerie) éblouit les yeux par ses devantures et ses verrines étincelantes de bijoux, et surtout d’énormes boucles d’oreilles grosses comme des grappes, d’une richesse lourde et massive, un peu barbare, mais d’un effet assez majestueux, qui sont achetées principalement par les paysannes aisées.

Le lendemain, à dix heures du matin, nous entrions dans la petite anse au fond de laquelle se trouve Port-Vendre. — Nous étions en France. — Vous le dirai-je ? en mettant le pied sur le sol de la patrie, je me sentis des larmes dans les yeux, — non de joie, mais de regret. — Les tours vermeilles, les sommets d’argent de la sierra Nevada, les lauriers-roses du Généralife, les longs regards de velours humides, les lèvres d’œillet en fleur, les petits pieds et les petites mains, tout cela me revint si vivement à l’esprit, qu’il me sembla que cette France, où pourtant j’allais retrouver ma mère, était pour moi une terre d’exil. Le rêve était fini.


Théophile Gautier.