rieuse qui nous est assignée. Toute génération a eu un contingent de peines et de joies ; notre lot est meilleur que celui de nos aïeux, et nous préparons à nos enfans, il faut l’espérer du moins, une existence plus prospère que la nôtre. En fait de misère, qui en a plus essuyé que les populations du moyen-âge, en butte à des famines incessantes, décimées par la guerre, foulées par les partis armés, ravagées par la peste, ruinées par les exactions arbitraires ? Un membre de l’institut, M. Berryat de Saint-Prix, a dernièrement tracé un tableau animé et consciencieux de cette situation trop peu connue. Même plus près de nous, et dans ce que l’on nomme le grand siècle, on voit éclater des plaintes que l’histoire officielle ne mentionne pas. Derrière le luxe de Louis XIV se cachent les privations de tout un peuple. Un seul homme a osé élever la voix, c’est Vauban : aussi, malgré ses services, mourut-il dans la disgrace du souverain. Vauban avait le cœur aussi grand que le génie : quand il se fut assuré du mal, il ne craignit pas de le dévoiler. Dans un passage du Projet de dîme royale, Vauban constate que la classe des privilégiés se réduisait de son temps à dix mille familles opulentes ou aisées sur vingt-deux millions d’ames ! Un autre écrivain de ce règne, Boisguilbert, aussi judicieux et aussi sincère que Vauban, confirme la triste statistique de ce dernier et ajoute : « Bien que la magnificence et l’abondance soient extrêmes en France, comme ce n’est qu’en quelques particuliers et que la plus grande partie est dans la dernière indigence, cela ne peut compenser la perte que fait l’état pour le grand nombre[1]. » Si la misère a sévi sous un roi comme Louis XIV et avec un ministre tel que Colbert, au milieu du silence des factions et de la sécurité intérieure, qu’on juge de ce qu’elle devait être quand le pays était mis au pillage par des mercenaires ou envahi par la soldatesque ennemie. Certes, la matière de tableaux larmoyans abondait dans ces périodes fécondes en calamités ; il ne leur a manqué qu’une chose, des statisticiens.
L’amélioration du sort des classes laborieuses est donc un fait qui ressort du moindre rapprochement historique. On peut même, dans les témoignages contemporains, en découvrir la marche et en constater le mouvement. L’un des plus judicieux et des plus consciencieux observateurs des phénomènes industriels, M. le docteur Villermé, a recueilli à ce sujet, dans les manufactures, des aveux précieux de la part des plus vieux ouvriers, de ceux qui, ayant vécu sous deux
- ↑ Détail de la Francs sous Louis XIV.