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cultes qui ont osé élever la prostitution à la hauteur d’un rite religieux. Les lupercales, les bacchanales, les mystères de la bonne déesse, n’étaient autre chose qu’une débauche organisée et s’exerçant, sous l’œil des prêtres, avec un débordement périodique. Plus près de nous, divers schismes scandalisèrent l’église par d’étranges déréglemens. Carpocrate et Prodicus en donnèrent l’exemple dans les premiers siècles de notre ère, et après eux des sectes nombreuses, comme les Picards, les Vaudois, les frères de l’esprit libre, les dulcinistes, les fossariens, les multiplians, les florians, dont parle Philastre, ne craignirent pas de couvrir leurs dissolutions du voile d’un fanatisme pieux. Les turlupins allèrent plus loin encore ; ils eurent des grandes prêtresses et parodièrent les écarts de l’idolâtrie. Ainsi la débauche avait pris asile à côté du sanctuaire d’une manière ouverte, profanation qui a été épargnée à notre temps. Les ravages qu’elle faisait dans les autres classes n’étaient pas moindres. Une sorte de magistrature burlesque avait été imposée, dans le moyen-âge, à la prostitution, et le roi des ribauds n’eût pas échangé son sceptre effronté pour une souveraineté plus décente. Les usages de l’époque autorisaient cette licence, et la langue même, telle qu’on la retrouve dans Rabelais, trahit cette liberté des mœurs par la liberté de l’expression. Les siècles suivans ne dérogèrent point, et il suffit de citer le règne de Louis XV pour donner la mesure du dérèglement où étaient arrivés nos pères. En ce genre, il sera difficile de les surpasser.

Voilà pour la licence des mœurs. Quant à la misère des classes nombreuses, il faut se souvenir de ce qu’étaient les ilotes et les prolétaires dans le monde ancien. L’esclavage ajoutait encore à ces douleurs un chapitre dont chaque jour les pages s’effacent. Dans l’ère moderne, ce fut la féodalité qui se chargea de reproduire sous une autre forme les servitudes du régime romain. On parle de l’assujétissement dans lequel les maîtres peuvent tenir les ouvriers ; mais que l’on compare ce joug à celui du vasselage d’autrefois, plein de brutalités et de caprices, ne respectant ni la liberté ni la dignité de l’homme, disposant de lui comme d’une machine, et ne lui laissant pas même la jouissance des fruits de son travail ! Qui voudrait aujourd’hui, même parmi les plus malheureux journaliers, retourner à cette condition qui faisait du serf une sorte de propriété mobilière ? Au lieu de regarder toujours en avant de soi, que l’on jette plus souvent un coup d’œil en arrière : on y puisera, en contemplant le chemin parcouru, la patience nécessaire pour achever l’étape labo-