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Du vice et du crime, on peut arriver sans transition à la misère qui y confine par tant de points. C’est là d’ailleurs le principal chef d’accusation qu’on fait valoir contre la société. La misère des classes laborieuses est présentée comme un grief accablant pour la civilisation qui en souffre le spectacle. Des hommes généreux, des écrivains sensés, se sont émus à ce cri, et de divers côtés on a cherché des solutions au problème le plus épineux des temps modernes, celui de concilier la liberté du travail avec la continuité et la suffisance du salaire. Ce qu’une pareille étude a fait ressortir, c’est que, dans le cours des temps, les classes laborieuses n’ont jamais connu qu’un état précaire, aggravé par l’ignorance et le fanatisme. Les formules de civilisation, graduellement améliorées, ont adouci cette misère, mais avec la lenteur et le calme qui président aux évolutions humaines. Le travail, après avoir passé par le régime des castes de l’Égypte et de l’Inde, de l’esclavage romain et du vasselage féodal, s’est enfin émancipé : aujourd’hui il s’appartient, il dispose de lui-même. Dans cet état nouveau et récent, doit-on s’étonner qu’il ait encore l’imprévoyance et la faiblesse de l’adulte ? Avec le temps, l’éducation du travailleur s’achèvera. Il comprendra mieux quelle est son importance dans l’ensemble des relations sociales, et quel rôle il lui appartient d’y jouer. Ce n’est pas par des prétentions qu’il s’élèvera, comme on le lui conseille aujourd’hui, mais par des services. Il serait étrange que l’émancipation demeurât stérile, quand la servitude a été féconde. C’est faire injure aux classes laborieuses que de le supposer.

Qu’on n’affecte plus autant de souci pour les hommes qui vivent du travail de leurs mains : ils trouveront leur route d’eux-mêmes. Ils ont la patience et le nombre ; quand ils y joindront l’esprit de prévoyance et de conduite, toute société devra compter avec eux. On parle d’association, de formules d’association : avant d’y songer, les classes laborieuses ont à épuiser l’épreuve complète du régime d’affranchissement dans lequel elles ne sont entrées que depuis un demi-siècle. Toute association, même avec des clauses disciplinaires, ne peut être aujourd’hui qu’un contrat libre, volontaire, spontané ; il faut qu’en y entrant chaque membre sache à quoi il s’engage, quels droits il aliène, à quels devoirs il se soumet. Dans la masse actuelle des ouvriers, ce sentiment, cette conscience, n’existent pas encore. Toute association libre les trouvera un jour dociles, le lendemain rebelles, aussi prompts à se lier qu’à se dégager, répugnant même aux obligations qu’ils se seront créées. En mainte occasion, on a