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DE L’AGRICULTURE EN FRANCE.

Le faible reste du système des substitutions, renouvelé par l’empereur sous la forme de majorats, est venu finir devant la révolution de juillet. Ce système d’ailleurs est jugé. C’est l’asservissement de la famille, de la mère, des oncles, des frères, au fils aîné ; c’est la ruine de celui qui jouit de la substitution, et qui, ne pouvant être exproprié, dépense sans prévoyance ; c’est celle de ses créanciers, à qui tout gage échappe par la mort de leur débiteur ; c’est la ruine encore de la propriété, que l’on épuise à dessein quand la substitution doit changer de ligne. À moins que l’état social n’offre d’abondantes ressources pour doter les cadets, des places opulentes accordées à leur nom, des carrières ouvertes pour eux seuls, un riche commerce qu’ils puissent exploiter, ce système crée une caste de parias dangereux, prêts à se révolter contre la société. C’est seulement par les ressources que nous venons d’énumérer que se conserve l’aristocratie anglaise. Quand le commerce manqua à Venise, le nombre des barnabotes (patriciens pauvres) s’accrut au point que la principale occupation de l’inquisition d’état était de mettre un frein à leur insolence envers le peuple.

Si ces deux moyens sont impraticables, il ne resterait que celui de fixer une limite au-dessous de laquelle la propriété ne fût plus divisible ; mais qui oserait la fixer aujourd’hui ? qui saurait la fixer ? Avant de le tenter, consultons au moins les faits.

Je conçois très bien les terreurs de ceux qui craignent, selon leur expression, que le sol français ne tombe en poussière, résultat infaillible, à leur avis, de l’absence de toute règle dans le partage et la vente parcellaire des propriétés. Ils se représentent le cultivateur remplaçant la grande culture par la bêche, ne pouvant plus produire que ce qui suffit à sa famille, n’ayant plus rien de disponible à porter au marché, d’où suit l’exclusion de tout travail industriel, qui ne peut plus être alimenté par l’agriculture (le bétail de vente disparaissant en même temps que les bêtes de travail). Dès-lors aussi plus d’engrais, décadence rapide des facultés productives du sol, et appauvrissement de la nation.

Telle est la chaîne de raisonnemens qu’une logique inflexible nous présente chaque fois qu’on entame la question agricole, raisonnemens qui remplissent les livres, les journaux, et qui se produisent même à la tribune nationale. S’il était vrai que rien ne pût arrêter cette progression décroissante de l’étendue des propriétés, s’il était vrai que, dans trois générations, l’hectare de terre possédé par le père fût réduit à un neuvième ou à un douzième pour les petits-fils