Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/826

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.
820
REVUE DES DEUX MONDES.

le sénat transportait dans les forêts son tribunal souverain et le siége légal de la liberté serbe.

Le secrétaire de ce corps avait d’abord été Philippovitj. Cet homme intègre, qui mourut trop tôt, fut remplacé dans la rédaction des actes par l’habile Iougovitj, que son dévouement au chef du peuple fit, à tort ou à raison, passer pour un intrigant. Au fond, chacun des sovietniks n’était guère que l’organe législatif d’un des chefs militaires, devenus, sous le nom de hospodars, gouverneurs civils, et qui régnaient en hauts justiciers, chacun dans la nahia délivrée par ses armes : Milenko à Pojarevats, Pierre Dobriniats à Poretch, Vouitsa à Smederevo, Ressavats à Iagodina, Milane Obrenovitj à Roudnik, George-le-Noir à Belgrad et à Kragouievats, et enfin Jacob Nenadovitj à Valiévo et dans les nahias du sud. Ce dernier chef était le plus puissant de tous après George. Ces gouverneurs importunaient le sénat d’exigences sans cesse renaissantes, et aigrissaient le dictateur George au point qu’un jour il osa, comme Napoléon, assiéger ce conseil des anciens, et, en faisant appuyer aux barreaux des fenêtres de la salle les canons des carabines de ses soldats, il apprit au corps souverain à respecter la force.

Cependant il y avait une autorité devant laquelle s’inclinaient le dictateur, le sénat et tous les hospodars de la république c’était la skoupchtina (assemblée nationale), qui venait tous les ans rétablir l’équilibre rompu entre la robe et l’épée, et prononcer en dernier ressort sur les débats que le sénat n’avait pas eu la puissance de terminer : s’il s’agissait d’un grand criminel, la nation le jugeait et l’exécutait sur l’heure, ou s’il s’était retranché dans quelque montagne, il était poursuivi et traqué avec les siens jusqu’à son extermination. Ainsi tout se décidait par la majorité, mais par la majorité armée.

L’assemblée générale de cette république militaire était souvent, comme celles de la vieille Pologne et des comitats hongrois actuels, obligée, pour se faire obéir, de tirer l’épée contre les récalcitrans. Tout Serbe quelconque avait le droit d’y venir voter, mais chacun se rangeait d’ordinaire sous le vote de son hospodar, et se battait même pour lui au besoin, comme les petits gentilshommes de Pologne ou de Hongrie pour leurs magnats. La skoupchtina ne présentait donc pas à la liberté individuelle des garanties beaucoup plus sûres que le soviet : une véritable représentation nationale était encore irréalisable en Serbie ; il n’y avait de possible que la représentation des localités ou tribus près du pouvoir central par des