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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

qui eût obtenu par ses aimables qualités la sympathie générale. Ce jeune homme, reçu avec tant de joie, quelques mois auparavant, à son retour de Hongrie, avait rapporté des bals et des fêtes maghyars une maladie de poitrine qui menaçait ses jours ; le docteur Steitj fut appelé de Zemlin à Pojarevats pour le soigner, et, tant qu’on craignit pour sa vie, le peuple, dont il était la seule espérance, tint les mains levées au ciel, et resta pieusement sous le joug. Protégé par l’amour qu’inspirait son héritier présomptif, Miloch put, comme par le passé, s’abandonner à tous ses caprices, accabler de coups sa propre femme, déshonorer les filles de ses plus fidèles serviteurs, et faire jeter dans les rivières ceux de ses favoris dont il était las. Toutes ces atrocités n’empêchaient pas le despote serbe de prier Dieu chaque jour aussi long-temps qu’un prêtre.

L’héritier de la couronne ayant recouvré la santé, le peuple reprit son attitude menaçante ; on l’entendit encore parler de réformes, on voulait contraindre le vieux kniaze à donner les lois promises. Tous les Serbes influens se coalisèrent dans ce but. Le docteur Steitj, qui possédait la confiance des knèzes coalisés, les dissuada de recourir à la violence ; ils présentèrent donc au prince une pétition collective, qui fut rejetée avec dédain. Les knèzes, à qui cette démonstration patriotique pouvait coûter la vie, songèrent alors à prévenir leur ruine, et, quoiqu’on fût au milieu de l’hiver, ils se répandirent dans les nahias pour armer leurs familles et leurs cliens. Les citoyens d’Iagodina, au nombre de mille, coururent les premiers aux armes à la voix de leur knèze Mileta Radoïkovitj et du sénateur Avram Petronievitj. En même temps, Milosar Ressavats marchait avec une nombreuse division sur Kragouïevats, où tous les autres chefs, chacun de son côté, arrivèrent le même jour, 7 janvier 1835. Le lendemain à l’aurore, quinze mille citoyens armés et vainqueurs faisaient tranquillement leur entrée dans cette petite capitale, abandonnée par la cour et par Miloch, qui fuyait éperdu vers la Valachie. Un corps de troupes, expédié contre les rebelles, sous la conduite de Iovantché Spasitj, gouverneur de Smederevo, passa, en dépit de son commandant, sous le drapeau des patriotes. Voutchitj, qui, en sa qualité de ministre de la guerre, gardait le palais du prince et les caisses de l’état pour les préserver du pillage, se rendit le 9 janvier dans le camp du peuple, qui l’attendait pour le proclamer dictateur. Le capitaine des gardes du prince, Pierre Toutsakovitj, avec son artillerie et quinze cents soldats d’élite, voulut alors marcher contre Voutchitj ; mais ses canonniers eux-mêmes refusèrent de faire feu sur le peuple.