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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

s’écriaient-ils, si nous ne pouvons rien faire sans la permission des tsars ? » Et les iounaks formaient dans la plaine de vastes groupes autour des plus ardens tribuns, qui les poussaient à des actes d’indépendance. Les staréchines aux cheveux blanchis contemplaient avec attendrissement ces nobles scènes, ils s’associaient à ces généreux élans. « Où est le temps qui nous a vus rayas ? s’écriaient-ils. Comme notre peuple a grandi en intelligence et en dignité ! » Et l’ardeur des jeunes gens se communiquait même à ces vieillards, qui refusaient de se retirer avant qu’on eût promis la skoupchtina. Voutchitj dut céder, et jura qu’elle aurait lieu, quoi qu’en pussent dire le sénat et la Russie.

Aussitôt l’armée des citoyens se dirigea sur Belgrad, où elle voulait tenir debout et en armes une assemblée générale. Elle s’arrêta à une demi-lieue de la ville, pour recevoir sur le Vratchar le salut du sénat, et le remercier, au nom de la patrie, du zèle qu’il avait déployé. Un homme d’une taille colossale et dont le vaste front pâle décelait un caractère inflexible, présidait ce conseil de vieillards : c’était l’ardent patriote Stoïane Simitj. On eût dit une vivante personnification de la fermeté, de l’énergie civiques. Tout le temps que dura la délibération, il conserva la même attitude, la même impassibilité. Enfin, les paysans demandèrent que le sénat déclarât la diète ouverte, et qu’elle fût appelée à juger son prince parjure. Le soviet, effrayé, allégua que Miloch ne pouvait être jugé que par les empereurs ; mais les citoyens s’emportèrent, et menacèrent, si on déclinait leur compétence, de prendre chacun une pierre pour aller de leurs mains lapider le tyran. Nikiphore, évêque d’Otijitsa, qui était venu remercier, au nom de l’église, les sauveurs de l’oustav, ne put les ramener à des dispositions plus calmes qu’en opposant à leurs plaintes toute l’autorité de sa parole évangélique. En même temps, Voutchitj, parcourant ces groupes en tumulte, s’efforçait de leur faire entendre un langage pacifique. « Frères, calmez-vous, criait-il ; il vous sera fait pleine justice, la charte vous en est garant. Mais songez que d’esclaves que vous étiez, la loi vous a rendus hommes ; qu’il y a maintenant une nation serbe dont il faut ménager l’avenir. Ne compromettez pas votre dignité de citoyens : que dirait l’Europe en apprenant que vous n’avez pu attendre le cours de la justice contre votre oppresseur, et que vous vous êtes vengés en rayas ? » Les kmètes ne répondirent à ces exhortations qu’en demandant de nouveau une instruction judiciaire. Les sénateurs cédèrent sur ce point, tout en faisant entendre qu’un tel procès exigeait du temps, et