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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

Ce sont ces serviles agens qui prétendent civiliser les Serbes, et qui, étonnés de soulever la défiance des populations, écrivent aux journaux d’Europe pour décrier le pays où ils ont reçu l’hospitalité. À les en croire, les dix-sept paysans qu’on appelle sénateurs devraient être envoyés comme écoliers en Allemagne, pour y étudier l’administration. Heureusement ces simples vieillards ont sous leurs yeux l’exemple des ridicules effets d’une importation prématurée des lois occidentales en Serbie : Davidovitj avait fait rédiger le code serbe en le modelant sur le code Napoléon. Après douze années de constans efforts, les traducteurs avaient terminé leur tâche, et le nouveau code put être enfin communiqué au sénat et à la diète. Ces pieux enfans de la nature furent indignés des articles relatifs aux cultes, au mariage, à la dot des femmes, à l’organisation des familles ; ils s’effrayèrent des germes d’aristocratie cachés dans les titres et les attributions dévolus à la propriété, et ils n’en crurent pas leurs oreilles lorsqu’ils entendirent mentionner, parmi les obligations imposées aux possesseurs de maisons, celle des servitudes. — Quoi ! s’écrièrent ces naïfs vieillards, même à Paris, chez la nation la plus libre du monde, encore tant de servitude ! — Beaucoup de travail avait été fait en vain ; il demeura prouvé que le code français resterait long-temps encore incompréhensible aux Serbes. En effet la politique, science purement expérimentale, doit toujours procéder des élémens simples aux élémens complexes ; la France, quand elle s’élança du chaos féodal, n’arriva pas du premier bond à la centralisation monarchique ; elle dut traverser lentement la période des grands vassaux et des grandes communes, dont chacune était comme une république à part dans l’état. Les tribus serbes actuelles aspirent au même genre de liberté que nos pères du XIIIe siècle. Il faut savoir concilier l’établissement d’un pouvoir unitaire avec leur légitime besoin d’une large existence municipale. Bien des germes d’une organisation factice ont déjà été implantés dans ce pays ; il faut qu’il sache s’en délivrer, ou qu’il craigne pour sa vie propre. Si la Serbie ne peut, à l’exemple de la Grèce, secouer l’influence occidentale, la sève de sa nationalité se retirera dans les montagnes, en Hertsegovine et au Monténégro. Déjà ce dernier pays se trouve dans une voie de développement bien plus normale, bien plus réellement serbe, que la principauté danubienne.

L’organisation militaire de la Serbie ne présente pas moins d’anomalies que son état civil. En se contentant d’exercer la jeunesse dans les villages, sans l’arracher de ses foyers en temps de paix, ce