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l’on ne se rendait pas exactement compte du but que doit se proposer un cabinet nouveau et des moyens que lui offrirait la chambre pour l’atteindre.

Quiconque aspire à consolider le gouvernement fondé en juillet s’afflige de la vie précaire et contestée de la plupart des cabinets depuis 1830. Ces embarras ont tenu à l’instabilité de la majorité. Les combinaisons qui ont prévalu ne réunissaient que le nombre de voix rigoureusement nécessaire pour garder le pouvoir. Il semble que, repoussant toutes les conditions qui pouvaient leur donner une plus large assiette, on n’ait jamais voulu faire que la somme de concessions indispensable à la réunion d’une étroite majorité. Tous les cabinets à leur origine obtiennent de nombreuses adhésions. La fatigue, l’espoir, la tolérance des mœurs politiques, leur offrent d’abord des appuis suffisans et leur donnent quelques mois d’une vie concédée par grace. Mais après ce sursis ordinaire, quand on pèse leurs forces, on les trouve dépourvus de puissance réelle, et la chambre, coupée en deux, ne les soutient plus qu’avec déplaisir et presque à contre-cœur.

Les inconvéniens de cet état de choses ont frappé tous les bons esprits, et les véritables conservateurs, ceux qui méritent ce nom, s’accordent à reconnaître que le premier besoin de la France en ce moment est de constituer dans la chambre une majorité. Je n’appelle point ainsi le partage presque égal des voix, source de contestations perpétuelles et de luttes sans terme, mais ce qui mérite réellement le nom de majorité dans un gouvernement constitutionnel, c’est-à-dire un parti puissant, dévoué au cabinet, vivant de sa vie, s’animant de ses inspirations, et disposé à le soutenir en toute occasion. Depuis treize ans, ou plutôt depuis bientôt trente ans, pour être vrai, on poursuit ce but en France. M. de Villèle l’atteignit, chacun sait par quels moyens ; le cabinet du 11 octobre le toucha aussi un instant, grace aux difficultés de la politique intérieure : les autres administrations l’ont poursuivi à leur tour sans y parvenir. C’était l’espoir du 29 octobre. M. Guizot l’exprimait dans la séance du 26 février 1841. « Depuis l’origine de la session, disait-il, une idée dominante a préoccupé le cabinet : reconstituer dans cette chambre une majorité de gouvernement, depuis trop long-temps désunie ou flottante. Le cabinet est convaincu, et il l’a dit dès les premiers jours, que la réorganisation d’une vraie majorité de gouvernement était en ce moment le plus pressant intérêt du pays, de la chambre, de la couronne, de l’honneur de nos institutions… Y a-t-il quelqu’un dans cette chambre, sur quelque banc que ce soit, qui pense que la réorganisation d’une majorité de gouvernement, la constitution des deux grands élémens de discussion dans la chambre, la majorité et l’opposition, ne soient pas très désirables ? Y a-t-il quelqu’un qui croie que la confusion, la désunion, l’éparpillement des opinions et des partis, soient une bonne chose pour le gouvernement, pour l’honneur de la chambre, pour la dignité de nos institutions ? Personne ne le pense. »

De bonne foi, le but honorable que se proposait le cabinet et que son chef par le talent exprimait en ces termes, ce but est-il réalisé ? À l’époque où