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REVUE. — CHRONIQUE.

société, il y a là des inconvéniens et des avantages, de la puissance et de la faiblesse, du bien et du mal. Mais ce qui est évident, c’est qu’en règle générale un gouvernement faible, désarmé, ne peut résister aux orages de la démocratie. Autant vaudrait renfermer une liqueur en fermentation dans un vase dont les cercles seraient en carton peint. On peut sans doute citer des exceptions, précisément en Suisse. Il est des cantons pleinement démocratiques et dont néanmoins le gouvernement, bien que faiblement organisé, n’est nullement menacé et ne court aucun danger. Le fait est vrai, seulement il trouve son explication dans la nature même de la population de ces cantons. Ce sont des populations essentiellement agricoles, des hommes sédentaires, laborieux, qui ne sont point agglomérés dans une ville. Il n’y a pas de ville considérable en Suisse. Il n’y en a pas une qui approche de Genève pour la population, et cependant Genève ne compte pas trente mille ames. La Suisse est couverte de petits propriétaires fonciers. Une grande partie de ses ouvriers sont en même temps des cultivateurs. Qui ne connaît les mœurs graves, les habitudes réfléchies des Suisses, dont la majorité est de race allemande, et apporte dans ses résolutions la lenteur quelquefois excessive des hommes d’outre-Rhin ? Genève, au contraire, est une ville essentiellement manufacturière, pleine d’ouvriers, d’ouvriers intelligens, mais dont il est facile d’exciter le mécontentement et d’irriter la vanité. Genève, d’ailleurs, se trouve par ses antécédens et par sa gloire dans une position difficile. Il y a à Genève un grand développement intellectuel, mais nulle autre carrière que le commerce. De là un grand nombre d’esprits inquiets, mécontens, ne sachant pas trop ce qu’ils veulent, mais voulant toujours autre chose que ce qui est. Bref, Genève est moralement une grande ville et en fait un tout petit état. L’individu s’y développe comme il se développerait à Paris, à Londres, à Berlin, et ensuite l’état ne peut rien pour lui. Ainsi la Suisse porte en elle-même les correctifs de la démocratie ; Genève se trouve, au contraire, dans les conditions qui aggravent les inconvéniens de la démocratie. Et cependant le gouvernement est plus faiblement constitué à Genève qu’il ne l’est à Berne, à Lausanne, à Soleure. L’avenir nous apprendra si les Genevois corrigeront par leur bon sens et leur patriotisme les défauts inhérens à leur constitution sociale et politique.

Le canton directeur s’est aperçu un peu tard que sa circulaire relative aux couvens d’Argovie n’était pas destinée à trouver un accueil favorable dans les cantons les plus considérables de la Suisse. Il bat en retraite comme il peut, et il prend surtout soin d’assurer ses confédérés, et notamment tout bon catholique, que sa circulaire ne lui a pas été inspirée par le nonce du pape ou par l’ambassadeur d’Autriche. Soit. Mais s’il est malheureux de faire naître certains soupçons, il est peu digne pour un gouvernement de les démentir. D’ailleurs, à quoi cela sert-il ? Ceux qui seraient convaincus du fait ne manqueraient pas de dire que tout mauvais cas est niable. Quoi qu’il en soit, le vorort ne convoquera pas, à ce qu’on dit, de diète extraordinaire. L’affaire sera renvoyée à la diète ordinaire de juillet. C’est dire que la tentative est manquée.