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CHILLAMBARAM ET LES SEPT PAGODES.

dota une famille brahmanique de plusieurs villages, y fonda vingt temples, mais les raisons qui amenèrent les prêtres dans la forêt Daôdaca ne sont jamais données.

Peu à peu les bouddhistes envahirent une grande partie de la contrée convertie par leurs adversaires ; mais, arrivés au faîte de leur puissance vers les premiers siècles de l’ère chrétienne, ils furent à leur tour si vivement attaqués, qu’ils disparurent de toute la surface de l’Inde, et dans la péninsule leur souvenir même s’effaça ; aujourd’hui il faut, pour les trouver, franchir le golfe de Manaar ou les monts Himalayas. Toutefois derrière eux ils laissaient les djaïnas, qui protestaient aussi contre le culte brahmanique. Anathématisée par les prêtres de Civa, cette nouvelle réforme était cependant si vivace, que les sectes djaïnites, multipliées à l’infini, existent encore dans toute la partie méridionale de l’Hindostan. Selon leurs traditions, la forêt Daôdaca fut civilisée et conquise par Salivahana, héros qui donne son nom à une ère sacrée commençant à l’an 78 de la nôtre.

Les djaïnas paraissent avoir été florissans surtout du VIIIe au XIIe siècle ; plusieurs fois, quand la faveur royale les encourageait à ces actes de violence, ils s’approprièrent les pagodes bâties par leurs adversaires ; sans doute aussi ils en élevèrent eux-mêmes, mais les plus remarquables monumens de la presqu’île portent trop exclusivement le caractère brahmanique[1], pour qu’on ne les regarde pas comme consacrés au plus ancien culte de l’Inde. Constituant, au moyen de légendes fabuleuses, une nouvelle terre sainte, établissant de nouveaux lieux de pèlerinage à la jontion des fleuves, au bord des étangs, sur des rochers où de pieux anachorètes avaient l’habitude de faire leurs ablutions et de choisir leurs retraites, les brahmanes prirent racine sur ce sol vierge défriché par eux. Et si l’on songe que cette caste privilégiée conserve sans mésalliance le sang plus pur et plus vif d’une race venue des climats tempérés, qu’elle avait par conséquent plus de chances de résister aux épidémies, et qu’enfin la guerre et la famine, ces deux fléaux de l’Inde ancienne, ne l’attaquaient guère, on comprendra facilement l’accroissement rapide qu’elle sut prendre. De là, les grottes ou caves d’Ellora, de Mahabalipouram, d’Elephanta, de Salsette ; les pagodes de Trich-

  1. On doit en excepter le curieux temple souterrain de Carlie, dans le pays mahratte. Quant aux grottes d’Ellora, il se peut qu’elles renferment quelques statues de dieux djaïnites ; cependant l’ensemble du travail doit être attribué aux brahmanes.