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CHILLAMBARAM ET LES SEPT PAGODES.

d’eau ; deux éléphans prennent les vases dans leurs trompes et les vident successivement sur les épaules de Dourga. Qui sait si jadis quelque radja ne s’amusa pas à dresser des éléphans à ce singulier service ?

On peut encore se figurer les brahmanes tournant avec le soleil autour de la montagne transformée en pagode et coupée d’escaliers. Pendant la chaleur de midi, les grottes inférieures offraient un abri plein de fraîcheur et de mystère ; puis, à mesure que l’ombre s’allongeait, ils montaient de reposoir en reposoir, adorant la divinité sous ses manifestations diverses, jusqu’à ce que, arrivés à la cime, sous le petit temple aujourd’hui ruiné, ils se plongeassent dans le cinquième élément, dans l’éther, qui est Brahme, le dieu impersonnel. De là, ils entendaient mugir la mer derrière les dunes, ils voyaient étinceler sur la plage l’Océan, trésor et réceptacle des eaux, digne de respect et d’adoration à cause des milliers d’êtres qu’il renferme ; de là, ils contemplaient aussi les astres, dans lesquels ils voulaient lire toutes les phases de la vie humaine, comme ils y avaient déchiffré heure par heure toutes celles des nuits, des saisons et des années[1]. On devine que le grand rocher chargé de sculptures fait face àæ l’orient ; les premiers rayons du soleil frappent et animent cette scène solennelle. S’ils n’en tirent pas, comme de la statue de Memnon, un son harmonieux, du moins ils l’illuminent d’une si splendide lumière qu’on prendrait ce roc immobile pour le voile radieux et diaphane derrière lequel se cache un sanctuaire invisible.

Serait-il déraisonnable de penser que les brahmanes, sortis de leur pays par suite d’un exil volontaire ou forcé, et se trouvant jetés au milieu d’une population hostile ou au moins rebelle à leurs doctrines, se réfugièrent d’abord dans des grottes naturelles qu’ils agrandirent, dans lesquelles ils sculptèrent toute leur théogonie, leurs principales légendes, les plus saisissantes pages de leur histoire, enseignant ainsi sans en avoir l’air, parlant aux yeux des hôtes qui les avaient accueillis, jusqu’à ce que, prenant sur la masse convertie à leurs dogmes l’empire auquel ils aspiraient, ils quittassent ces cavernes pour édifier ouvertement les temples magnifiques, symbole de leur puissance incontestée, de leur triomphe décisif ?

  1. Les brahmanes cultivent encore l’astrologie, qui est une de leurs cinq branches d’enseignement ; dans les maisons riches, ils sont appelés à la naissance d’un enfant pour tirer son horoscope, qu’ils présentent aux parens sur une large feuille de papier contenant les calculs, les explications et les signes magiques employés au moyen-âge par les nécromanciens.