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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/967

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CHILLAMBARAM ET LES SEPT PAGODES.

Après avoir stationné dans les quatre chapelles bâties aux quatre coins du village, la statue vénérée rentra dans son sanctuaire ; les flambeaux s’éteignirent dans un nuage d’une blanche fumée roulant encore quelques éclairs bleuâtres ; les trompettes jetèrent une dernière note déchirante à laquelle répondirent les échos de la colline, comme si les divinités de granit, du fond de leurs grottes, eussent salué leur compagne par un cri d’adieu.

Ainsi il dure encore, ce vieux culte, frère du paganisme grec et de la sombre philosophie égyptienne ; il a vu le temple de Delphes perdre ses oracles, les cent portes de Thèbes crouler une à une, les sphinx s’ensevelir sous les sables du désert, le feu sacré des Mages près de s’éteindre, et chassé de son parvis, lui demandant un asile. Rongé au cœur durant des siècles par la réforme bouddhique, qui attaquait corps à corps les privilèges de la caste sacerdotale, miné par les vingt sectes des djaïnas, frappé au front par le glaive de l’islam, combattu sur tous les points par les enseignemens féconds du christianisme, le géant brahmanique est encore debout. Pareille au figuier saint qui d’arbre devient forêt, cette religion vivace a couvert de ses rameaux changés en racines l’Inde entière, du Gange à l’Indus, de Ceylan à l’Himalaya. Isolée de tout pouvoir séculier, indifférente à la chute des empires, au lieu d’un pontife souverain, elle compte cent mille prêtres tout puissans dans le monde des dieux et dans le monde des hommes. Cependant, à mesure que les communications trop multipliées avec l’Europe répandront parmi le peuple hindou le doute stérile ou une autre croyance qui étouffera le brahmanisme, cette grande machine fonctionnera de plus en plus à vide, les fidèles manqueront au prêtre ; resté seul dans ses temples déserts, en face de ses dieux difformes et menaçans, le brahmane compulsera en vain les livres qui lui accordent un passé idéal et un avenir sans fin. S’il s’avoue vaincu, il déchirera ces pages et jettera au front de ses idoles de la poussière au lieu de parfums ; peut-être aussi, trop fier pour rentrer au milieu des castes méprisées, pour condescendre à redevenir homme, ira-t-il au fond de ces grottes cacher sa honte et sa douleur, comme les vieux lions qui se retirent pour mourir dans les cavernes où ils sont nés. Et quand l’empire chinois, déjà entamé, livrant ses ports et ses fleuves aux vaisseaux de l’Occident, sera forcé d’abdiquer son antique souveraineté, quand le Fils du Ciel, pontife suprême, cessera d’offrir les sacrifices à la Terre, que restera-t-il du vieux monde ?

Les sept pagodes et l’amas de monumens que nous avons essayé de décrire sont parfaitement isolés de la contrée environnante par