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vraiment inspirés ! La forme de la prophétie est une des plus belles expressions qu’ait pu revêtir le génie humain ; ç’a été dans les temps antiques une sorte de dialogue entre l’homme et Dieu, dialogue fécond en accens sublimes, quand celui qui le racontait aux autres était vraiment rempli de l’esprit divin. Quel est ce poète qui ne peut résister à Jehovah, et qui s’écrie dans un douloureux enthousiasme : « Malheur ! nation pécheresse, peuple chargé d’iniquités, race de pervers ! Ils ont abandonné Jehovah, méprisé le saint d’Israël ; arrière ! » Qui parle ainsi ? C’est Isaïe, le premier des quatre grands prophètes, Isaïe à la fois poète, tribun et pamphlétaire, croyant ardemment à sa mission divine et puisant dans cette foi un courage qui, suivant la tradition, n’a pas défailli sous les cruautés du dernier supplice. Isaïe a la majesté d’Homère, et Grotius lui trouvait plus de véhémence qu’à Démosthènes. Le prophète ne craint pas d’adresser à Israël les plus sanglans reproches : « Ce sont vos crimes qui sont une séparation entre vous et votre Dieu, vos péchés vous cachent sa face, et c’est pour cela qu’il ne vous exauce plus. Vos mains sont souillées de sang, et vos doigts de crimes ; vos lèvres profèrent le mensonge, votre langue fait entendre l’iniquité… Ils couvent des œufs de basilic, et tissent des toiles d’araignée : celui qui mange de leurs œufs mourra, et qui les brise écrase une vipère[1]. » Isaïe épouvante le peuple avec l’image de la vengeance du Très-Haut : « Le nom de Jehovah vient de loin, sa colère brûle, son feu est violent, ses lèvres sont pleines de fureur, et sa langue un feu dévorant. Il met un mors trompeur sur la mâchoire des peuples. » Quelquefois aussi le prophète fait luire aux yeux d’Israël les doux rayons d’un heureux avenir : « Les malheureux se réjouiront en Jehovah, et les peuples triompheront par le saint d’Israël. L’insolent est à bout, c’en est fait du farceur, et ceux qui exploitent la justice seront exterminés. C’est pourquoi Jehovah dit à la maison de Jacob, lui qui a racheté Abraham : Maintenant Jacob ne rougira plus de honte, et son visage ne pâlira plus. » En lisant Isaïe, on dirait qu’à travers les siècles la voix de cet homme vibre encore, tant, au milieu de ses contemporains, il a parlé avec conviction et puissance ! Il prend tous les tons avec le même succès et un charme égal, parce qu’il partage vraiment toutes les passions et toutes les espérances du peuple sur

  1. Nous citons la traduction de la Bible nouvellement faite sur l’hébreu par M. Cahen.