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foi les eût rapidement confondus, le dissentiment religieux les sépara sans retour. Il y avait sans doute dans la nature des Belges, passionnés pour l’art au même degré au moins que les Français, cet instinct des croyances expansives et rayonnantes qui est incompatible avec les dogmes arides du protestantisme. Quand ils eurent épuisé dans une insurrection stérile le reste d’inquiétude qui leur venait des anciennes querelles communales, ils acceptèrent de nouveau la domination lointaine de leurs maîtres, et entrèrent dans une longue période d’anéantissement social et de léthargie politique, pour ne plus se réveiller qu’au bruit précurseur des tempêtes modernes. Mais de leur insurrection du XVIe siècle sortit pour eux un dernier élément de patriotisme qu’une longue immobilité devait préserver longtemps de toute atteinte ; nous voulons parler de cet attachement presque fanatique au catholicisme qui forme aujourd’hui encore un des côtés les plus saillans de leur caractère national.

Ce n’est pas qu’ils aient passé sans transition de leur existence si turbulente du XVIe siècle à l’inertie végétative des deux âges suivans. L’Espagne, effrayée peut-être de leur impatience naturelle, et désespérant de les contenir de si loin, s’ils tentaient de se soulever encore, voulut les constituer en un état séparé qui aurait été gouverné par une dynastie nouvelle issue de la maison d’Autriche. Cette combinaison prudente eût peut-être changé le cours de leur destinée nationale, si les archiducs Albert et Isabelle, en faveur de qui elle avait été faite, avaient laissé une postérité. Le règne trop court de ces princes est cependant resté dans la mémoire du pays, et ce qui le lui rend cher encore, c’est qu’il fut illustré par Rubens, le Michel-Ange flamand, et par sa splendide école.

Nous touchons à l’histoire moderne, et, sur le chemin où nous avons suivi pas à pas la trace si souvent effacée de la nationalité belge, c’est encore une levée de boucliers qui nous arrête au bord de l’abîme de 89. Chose étrange et qui mérite bien de fixer l’attention des lecteurs français, pendant que l’esprit régénérateur du XVIIIe siècle souffle sur les peuples et sur les rois, la Belgique seule, comme cette princesse des contes de fées qui dormit cent ans, se réveille dans ses vêtemens gothiques et se lève pour agiter une dernière fois devant son souverain la vieille bannière communale ; car c’est sous ce jour qu’on doit envisager l’insurrection brabançonne, qui a passé inaperçue au milieu des convulsions d’une société expirante. Cette révolution (puisqu’elle porte un aussi grand nom) est toute féodale et recule vers le moyen-âge : elle n’emprunte au XVIIIe siècle