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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/1010

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REVUE DES DEUX MONDES.

responsabilité sans connaissance de cause. Qui peut dire que dans ces possessions si peu connues, à quatre mille lieues de la France, l’affaiblissement des garnisons n’aurait pas compromis la vie de nos soldats, de nos concitoyens, et l’honneur de notre drapeau ? Pour ceux qui voulaient déterminer le gouvernement à l’abandon de l’Océanie, l’amendement était insuffisant ; pour les autres, il n’était qu’une chicane au ministère. La chambre l’a repoussé. Cependant, sur la proposition de M. Guizot, il a été entendu que les huit cent cinquante hommes d’infanterie de marine qui vont à Taïti et aux îles Marquises ne seront pas remplacés dans le budget ordinaire. C’est une concession, un peu tardive peut-être, à la mauvaise humeur de plusieurs députés des centres.

Il paraît qu’il ne sera plus question cette année, ni des lois sur les chemins de fer, ni des ministres d’état, ni des patentes ; bref, la chambre attend avec une impatience visible le vote du budget ; c’est tout au plus si elle consent à intercaler, entre le budget des dépenses et celui des recettes la loi sur la chasse. Très probablement les braconniers auront encore une année de répit.

Le budget n’offrira qu’une question importante. La commission n’a pas vu sans inquiétude un budget qui, même pour les dépenses ordinaires, ajoutait aux découverts des années précédentes un excédant de dépenses de près de 34 millions. Le rapporteur de la commission, homme éclairé et consciencieux, a fait précéder son travail par un tableau fidèle de l’état de nos finances. « En ne portant pas les regards au-delà de l’exercice 1843, on trouve que le trésor est à découvert pour les budgets des exercices antérieurs à 1844 de 504,128,454 fr., et pour les travaux publics extraordinaires de 102,600,000 ; ensemble 606,728,454 fr. »

Sans doute, l’emprunt, la réserve de l’amortissement, la dette flottante et les améliorations progressives du revenu public feront face au découvert. Après tout, la France est dans la situation d’un homme riche qui aurait une année dépensé une fois et demie son revenu. Si ce n’est là qu’un accident, s’il ne tarde pas à rétablir l’équilibre de ses recettes et ses dépenses annuelles, en comprenant dans celles-ci la somme nécessaire à l’extinction progressive de sa dette en capital et intérêts, sa fortune et son crédit n’en seront point altérés ; nul ne s’alarme de quelques dépenses extraordinaires faites par un père de famille qui est à la fois riche et prudent. La France est riche ; sa richesse s’accroît tous les jours ; elle s’accroît d’autant plus, qu’une partie considérable des sommes dépensées par l’état a été employée comme capital d’une manière productive. Il n’est pas moins vrai que le pays aussi, quelle que soit sa richesse, a besoin de mesure et de prudence.

M. Bignon, en parlant de la situation de nos finances et des causes qui l’ont amenée, a su éviter toute exagération et a fait preuve d’une équité et d’une impartialité peu communes. « Il faut le reconnaître, dit-il, l’équilibre rompu en 1840, à la suite des évènemens survenus en Orient, ne pouvait pas se rétablir immédiatement. Un état de paix armée, fondé sur la nécessité de se tenir en garde contre les éventualités de la politique européenne, avait imposé à la France des sacrifices et des efforts qui devaient réagir sur l’ave-