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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/1009

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REVUE. — CHRONIQUE.

de savoir ce qui convient à la grandeur et à la dignité de la France. Il ne faudrait pas que tout capitaine de vaisseau voyageant dans de lointains parages imaginât d’attacher son nom à une conquête et de nous faire présent de je ne sais quelle colonie ou de je ne sais quel protectorat. Ce serait là une initiative d’autant plus fâcheuse que ces faits placent le gouvernement dans une fausse position. Soyons de bonne foi : que n’aurait-on pas dit du ministère, s’il eût refusé le protectorat de Taïti !

Qu’on ne se méprenne pas sur notre pensée : nous ne disons pas que la France doive se renfermer dans ses limites continentales et renoncer au rôle de grande puissance maritime et commerciale. Nous croyons au contraire que c’est là le rôle que doit jouer toute nation qui en a les moyens et qui ne veut pas décliner. La gloire et les gros profits, c’est à la mer qu’il faudra dorénavant les demander : c’est le cours naturel des choses, et on le comprend facilement. Qu’aurait-on dit, dans les temps passés, de celui qui n’aurait pas cru possible d’entretenir des relations commerciales avec la Sicile, ou qui aurait regardé comme chose impossible l’envoi d’une armée au-delà du Rhin ? Aujourd’hui le marché de l’Amérique du Nord est plus à notre portée que celui de la Sicile n’était à la portée de nos ancêtres, et il nous est plus facile de bombarder Saint-Jean-d’Ulloa qu’il ne l’était à Henri IV d’investir une bicoque de la Savoie. Le monde, sous le rapport des distances et de la facilité des communications, se rétrécit tous les jours. Par la même raison le marché s’agrandit, les affaires changent de face, les affaires commerciales comme les affaires politiques. Il faut suivre le courant. Le pays, qui a l’instinct des choses grandes et utiles et le pressentiment de l’avenir, se porte vers les entreprises maritimes et le commerce extérieur. Comparez les faits commerciaux d’aujourd’hui avec les faits commerciaux de vingt ans en arrière, vous serez frappé de la différence. Dans vingt ans, les faits commerciaux d’aujourd’hui paraîtront peu importans. C’est en ces matières que les hommes des vieilles idées perdent tous les jours du terrain. Le gouvernement obéit aux impulsions de son temps, lentement peut-être ; peut-être aussi que la lenteur n’est pour lui que prudence et sagesse. Ce que nous désirons, c’est que dans tout ce qu’il entreprend, il puisse garder toute sa liberté d’esprit et exercer une initiative spontanée, réfléchie. Nous ne lui demandons pas de beaucoup tenter, de beaucoup entreprendre ; nous lui demandons seulement de ne point opérer au hasard, d’avoir un plan, un système (tant pis pour ceux que ce mot effraie), de savoir ce qu’il veut et où il va, même en matière de commerce maritime et de colonies ; nous lui demandons d’avoir de bonnes raisons pour ce qu’il se propose de faire, et pas seulement de trouver des raisons pour justifier ce qui a été fait.

Encore une fois, l’utilité de nos établissemens dans l’Océanie pouvait être plus ou moins contestée, peut-être avaient-ils besoin de toute l’éloquence de M. Guizot pour se faire accepter par la chambre ; mais, une fois le principe admis, il ne fallait pas marchander avec le ministère sur le nombre d’hommes qu’il jugeait nécessaire à la sûreté de nos établissemens. Lui retrancher par un amendement quelques centaines d’hommes, c’eût été assumer une grande